Obligation de contrôler la « faisabilité » des délais proposés par les soumissionnaires

obligation de vérifier le délai d'exécution

Par un arrêt du n°260.555 du 30 août 2024, le Conseil d’État a suspendu l’attribution d’un marché public de fournitures lancé par BPOST selon la procédure négociée sans mise en concurrence préalable. Le motif ? BPOST n’avait pas suffisamment contrôlé la faisabilité des délais de livraison proposés à l’attributaire.

Une simple demande de confirmation ne suffit pas

Pour ce marché, BPOST avait fixé deux critères d’attribution : le prix (80%) et le délai de livraison (20%). 

S’agissant du délai de livraison, le cahier spécial des charges prévoyait un délai maximum de 18 semaines et une grille de cotation des délais, allant de 3 semaines à 18 semaines. Il précisait également que le non-respect du délai de livraison entrainerait des amendes et pénalités et même que BPOST pourrait procéder à la commande auprès d’un autre fournisseur. On peut donc en déduire implicitement que le délai ne pouvait pas être inférieur à 3 semaines.

L’attributaire a proposé des délais de livraison de 3 semaines, soit le délai minimal. Le requérant au Conseil d’État, classé deuxième, a proposé des délais de 18 semaines, soit le délai maximal.

Il critique cette décision, estimant que BPOST n’a pas procédé à un examen du caractère réaliste du délai de livraison proposé par l’attributaire. BPOST prétend avoir expressément demandé à ce dernier s’il était en mesure de respecter ces délais, ce qu’il a confirmé sans réserve.

Dans son arrêt, le Conseil d’État juge qu’une vérification effective du caractère réaliste du délai de livraison proposé s’imposait et qu’elle impliquait que BPOST ne se limite pas à demander une confirmation du délai. Il fallait également inviter le soumissionnaire à fournir des justifications concrètes puis procéder à une vérification effective de ces justifications.

Le Conseil d’État juge aussi que la motivation de la décision devait rendre compte du fait que BPOST avait interrogé l’attributaire sur cet aspect de son offre.

Obligation de vérifier les délais ET d’en rendre compte dans la motivation

Cet arrêt s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence bien établie au sujet de la vérification des délais d’exécution proposés par les soumissionnaires : lorsque le délai d’exécution constitue un critère d’attribution, le pouvoir adjudicateur doit impérativement procéder à une vérification de la faisabilité des délais offerts (C.E., n°252.751 du 25 janvier 2022 ; C.E., n°233.108 du 31 décembre 2015).

Le seul engagement du soumissionnaire à respecter les délais qu’il propose et les sanctions imposées en cas de non-respect des délais en cours d’exécution ne suffisent pas. Il s’agit, au stade de l’examen de la régularité de l’offre, de s’assurer que l’engagement est réaliste et susceptible d’être respecté.

Un parallèle peut être établi entre la vérification de la faisabilité des délais et le contrôle de la normalité des prix prévu et organisé dans la réglementation. La rigueur exigée pour le contrôle de la normalité des prix peut donc également s’appliquer à la faisabilité des délais.

Des balises utiles

Au même titre que pour le contrôle des prix, le pouvoir adjudicateur doit avoir à l’esprit les balises suivantes :

  • Le pouvoir a toujours l’obligation de procéder au contrôle des délais offerts, à tout le moins lorsqu’il en fait un critère d’attribution. Cette vérification doit être effective et s’appuyer sur des éléments objectifs. 
  • La motivation formelle de la décision d’attribution doit faire apparaître que cette vérification a eu lieu, ce qui peut être relativement court lorsqu’il n’y a rien eu de particulier à relever à ce sujet. 
  • Ce contrôle n’implique pas nécessairement d’inviter le soumissionnaire à se justifier. Si le pouvoir adjudicateur estime que les délais sont normaux et justifiés, il peut se contenter de sa propre appréciation et n’est pas contraint d’inviter le soumissionnaire à se justifier.
  • C’est lorsqu’il estime qu’il existe une anormalité et qu’il envisage d’écarter l’offre que le pouvoir adjudicateur doit interroger le soumissionnaire en question. Il lui faudra alors, dans ce cas, procéder à une analyse effective des justifications et en rendre compte dans la décision motivée d’attribution.

Conclusions

De manière générale, lorsque le délai d’exécution constitue un critère d’attribution, il convient d’imposer aux soumissionnaires de fournir un planning d’exécution détaillé dans leur offre. Un tel procédé permet de contrôler la faisabilité du délai au stade de l’attribution et ensuite de son bon respect en cours d’exécution. Pour les marchés de travaux et de manière plus large pour les marchés plus complexes, ce planning peut aussi permettre de fixer des délais intermédiaires contraignants également soumis à des amendes et/ou pénalités.  

Si vous êtes confrontés à des questions relatives à la régularités des délais ou des prix, n’hésitez pas à nous contacter.

Marché public de médicaments et équivalence thérapeutique

Le 21 décembre 2023, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la question de l’équivalence thérapeutique dans le cadre d’un marché public de médicaments. Il a considéré que le refus d’une offre ne pouvait se fonder sur le seul constat que la molécule proposée était différente de celle reprise dans les spécifcations techniques et qu’il fallait examiner concrètement l’équivalence thérapeutique sur la base des éléments fournis dans l’offre.

L’affaire

L’affaire concerne l’attribution du lot portant sur un médicament composé d’une molécule spécifique (« Pegfilgratisme 6mg/x ml (injectable) »).

Dans son offre, le requérant proposait un médicament à base d’un composant (le « Lipegfilgrastim »). Il y expliquait l’effet thérapeutique similaire de la molécule de son produit en citant plusieurs études. Cette offre a été considérée comme irrégulière et écartée, pour le motif qu’il ne s’agissait pas de la molécule exigée.

Marchés public de médicaments et spécifications techniques

Le Conseil d’Etat rappelle ici la nécessité de respecter l’article 53 §6 de la loi du 17 juin 2016 relative aux marchés publics dans le cadre d’un marché public de médicaments.

Cette disposition impose au pouvoir adjudicateur qui se réfère à des spécifications techniques de ne pas rejeter une offre au motif que les fournitures offertes ne sont pas conformes aux spécifications techniques dès lors que le soumissionnaire prouve dans son offre que les solutions proposées saitsfont de manière équivalente aux exigences définies par les spécifications techniques.

Comment vérifier l’équivalence thérapeutique ?

Dans son arrêt, le Conseil d’Etat rappelle l’importance de vérifier cette équivalence thérapeutique de manière effective et précise en cas de marché de médicaments. Il juge de manière relativement directe que « sous le couvert d’une motivation en apparence très longue, l’auteur de la décision attaquée expose à quatre reprises que les molécules ne sont pas équivalentes parce qu’elles sont différentes ».

Qu’est-ce qu’aurait dû faire l’hôpital ? L’hôpital aurait dû aller au-delà de ce constat et exposer concrètement pourquoi les deux molécules ne permettent pas d’aboutir à des résultats équivalents, contrairement à ce qui avait été expliqué par le soumissionnaire dans son offre.

On soulignera que le Conseil d’Etat va plus loin en soulignant qu’en l’espèce, une motivation renforcée s’imposait au regard des éléments apportés dans l’offre.

Modifications de contrats publics en cours d’exécution : nouvelles précisions de la CJUE

Peut-on modifier un contrat public en cours d’exécution ? La réponse est oui, mais uniquement à la condition que ces modifications ne soient pas substantielles, sans quoi le contrat devra faire l’objet d’une nouvelle mise en concurrence.

Principe de base : modifications substantielles = nouvelle mise en concurrence

Le principe est le suivant : si, après l’attribution du marché, le pouvoir adjudicateur et l’adjudicataire y apportent des modifications au point que ces dispositions présentent des caractéristiques substantiellement différentes que celles du marché initial, ils sont susceptibles de porter atteinte aux principes de transparence des procédures et d’égalité de traitement des soumissionnaires.

La Cour de justice apporte des précisions complémentaires

À l’occasion d’un arrêt du 7 décembre 2023 (affaires jointes C-441/22 et C-443/22), la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) apporte des précisions intéressantes à propos du caractère substantiel ou non d’une modification qui intervient lors de l’exécution d’un contrat public.

Une modification substantielle ne découle pas nécessairement d’un contrat

Une modification n‘a pas besoin de découler d’un accord écrit pour être substantielle.

La CJUE considère comme substantielles les modifications d’un contrat qui attestent de l’intention des parties de renégocier les conditions essentielles du marché.

Selon la Cour, l’intention consensuelle de renégocier le contrat peut découler d’autres formes qu’un accord écrit portant expressément sur les modifications concernées, par exemple le contenu des communications entre les parties au contrat.

Circonstances imprévisibles et renégociation

Les intempéries habituelles ne sont pas des circonstances imprévisibles

Un des cas de figure dans lequel la réglementation admet que le pouvoir adjudicateur renégocie les termes du contrat en cours d’exécution est la survenance de circonstances imprévisibles.

Des circonstances imprévisibles constituent des circonstances extérieures que le pouvoir adjudicateur diligent ne pouvait pas prévoir au moment de l’attribution du marché.

L’imprévisibilité se mesure au regard des moyens à la disposition du pouvoir adjudicateur, de la nature et des caractéristiques du projet particulier, des bonnes pratiques du secteur et de la nécessité de mettre en adéquation les ressources consacrées à la préparation de l’attribution du marché et la valeur prévisible de celui-ci et ce, même s’il a fait preuve d’une diligence raisonnable lors de la préparation du marché initial.

Rôle des clauses de révision dans la prévention des litiges

Tout ce qui est prévisible peut faire l’objet d’une clause de révision

La Cour précise qu’un pouvoir adjudicateur diligent confronté à l’existence de circonstances prévisibles susceptible d’avoir une incidence sur le bon déroulement d’un marché public peut anticiper leur survenance.

En effet, le pouvoir adjudicateur peut prévoir, dans les documents de marché (avis de marché, cahier spécial des charges), une clause de réexamen expresse qui identifie les circonstances dans lesquelles les conditions d’exécution du contrat pourront être adaptées sans nouvelle mise en concurrence en cas de survenance de telle ou telle circonstance spécifique et qui en fixent les modalités d’application.

Si les documents du marché portés, dès le départ, à la connaissance de tous les candidats contiennent une telle clause de réexamen, ces opérateurs économiques en ont connaissance au moment de formuler leurs offres. Ils postulent ainsi sur un pied d’égalité.

À l’inverse, s’il n’a pas anticipé les conséquences de la survenance de ces causes de suspension prévisible dans les documents de marché, elles ne pourront pas justifier la prolongation du délai d’exécution du contrat.

Conclusion

Pour pouvoir se prévaloir des dispositions qui permettent la modification d’un contrat en cours d’exécution en raison de la survenance de circonstances imprévisibles, le pouvoir adjudicateur doit pouvoir démontrer qu’il a été diligent lors de la préparation de son marché.

Ainsi, il doit anticiper le risque de dépassement du délai d’exécution du contrat en raison d’un phénomène météorologique fréquent ou de l’application de dispositions légales existantes. Pour cela, il doit prévoir dans les documents de marché la manière d’adapter les conditions d’exécution du contrat si une telle cause de suspension prévisible survient.

La rédaction de clauses de révision qui anticipent les circonstances probables mais néanmoins incertaines – gel, etc. – présente dès lors une importance primordiale pour les pouvoirs adjudicateurs qui veulent se garantir la possibilité de modifier un contrat dont l’exécution serait perturbée par la survenance de ces événements, tout en respectant l’égalité entre les soumissionnaires potentiels.

Si vous vous posez des questions au sujet de la modification des contrats publics en cours d’exécution, n’hésitez pas à nous contacter.

L’incidence de la hausse exceptionnelle des prix sur les marchés publics

Les évènements inédits et imprévisibles survenus depuis deux ans (pandémie, reprise économique post-pandémie, guerre en Ukraine, …) ont des conséquences sur l’économie mondiale, qui se manifestent notamment par des hausses de prix considérables et tout azimut. Les contrats publics étant également impactés par cette situation, les autorités étatiques publient des recommandations pour aider les pouvoirs adjudicateurs à réagir de manière adéquate face à une telle situation exceptionnelle.

Le 30 mars 2022, le Premier Ministre français a adopté une circulaire pour attirer l’attention des acteurs de la commande publique sur le fait que la hausse des prix de certaines matières premières suite à la reprise économique post Covid-19 et à la guerre en Ukraine constituait une circonstance exceptionnelle de nature à justifier, dans certaines circonstances, la modification des contrats en cours d’exécution.

Le 16 mai 2022, le Premier Ministre belge a, à son tour, pris des recommandations « concernant les hausses de prix importantes, notamment en raison de la guerre en Ukraine ».

Il y précise que la reprise économique après la crise du Covid-19 mais également la récente guerre en Ukraine et ses développements ont entraîné des augmentations et des fluctuations considérables des prix tant des produits finis ou manufacturés que des matières premières. Le Premier Ministre vise notamment l’énergie, les carburants, l’aluminium, l’acier, le cuivre, les colles, les produits hydrocarbures, le bois, etc.

Le Premier Ministre belge constate que la hausse des prix exceptionnelle a des incidences tant sur les marchés publics en cours d’exécution que sur les marchés à venir. Il émet, dès lors, des recommandations aux adjudicateurs afin que, face à des telles circonstances, « les parties arrivent à une solution acceptable pour la continuité du marché ».

Incidence sur les marchés en cours

L’initiative des modifications

L’initiative du pouvoir adjudicateur

Selon le Premier Ministre, les problèmes rencontrés en cours d’exécution procèdent soit de l’absence de clause de révision des prix, soit de l’inadéquation de cette clause notamment parce que les indices auxquels elle se réfère, n’évoluent pas aussi rapidement que les prix payés par l’adjudicataire.

Face à une telle situation, le Premier Ministre « conseille » aux adjudicateurs de prendre contact avec l’adjudicateur afin de « trouver ensemble une clause de révision des prix mieux adaptée et de remplacer ou d’adapter la clause en question ».

Le Premier Ministre précise que, dans les circonstances actuelles, les adjudicateurs sont autorisés à rééquilibrer les contrats impactés par l’évolution et/ou la fluctuation des prix en s’appuyant sur plusieurs dispositions de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 « relatif à l’exécution des marchés publics », notamment :

  • L’article 38/2° qui concerne les circonstances imprévisibles dans le chef de l’adjudicateur ;
  • L’article 38/4° qui concerne les modifications qui se situent en-dessous du seuil « de minimis », c’est-à-dire lorsque la valeur de la modification est cumulativement inférieure au seuil fixé par la publicité européenne et à 10 % de la valeur du marché initial pour les marchés de services et de fournitures et à 15 % de cette valeur pour les marchés de travaux.
  • Les articles 38/5° et 38/6° qui concernent les modifications non substantielles des contrats en cours d’exécution.

Conformément à l’article 38/ 6°, une modification n’est pas substantielle lorsqu’elle ne remplit aucune des conditions suivantes :

  • La modification introduit des conditions qui, si elles avaient été incluses dans la procédure de passation initiale, auraient permis l’admission d’autres candidats que ceux retenus initialement ou l’acceptation d’une offre autre que celle initialement acceptée ou aurait attiré davantage de participants à la procédure de passation du marché ;
  • La modification modifie l’équilibre économique du marché ou de l’accord-cadre en faveur de l’adjudicataire d’une manière qui n’était pas prévue dans le marché ou l’accord-cadre initial ;
  • La modification élargit considérablement le champ d’application du marché ou de l’accord-cadre.

L’initiative de l’adjudicataire

L’adjudicataire peut solliciter une modification du contrat sur la base de l’article 38/9° de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 qui concerne les circonstances imprévisibles dans son chef de l’adjudicataire.

Le Premier Ministre rappelle que, pour pouvoir s’autoriser de cette disposition, l’adjudicataire doit respecter des conditions précises.

Il lui faut en effet :

A. Dénoncer les circonstances imprévisibles dans un délai de 30 jours à dater soit de la survenance, soit de la prise de connaissance de l’évènement (article 38/15 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013).

  • L’évolution des prix étant par essence un phénomène continu, les recommandations précisent qu’« Il est parfois difficile, dans la situation actuelle, d’identifier un point de départ clair pour le délai précité de trente jours ».
  •  Cette appréciation rejoint le point de vue de plusieurs auteurs de doctrine selon lesquels lorsque le phénomène imprévisible dénoncé est continu ou progressif, ce qui est le cas d’une hausse des prix, la faculté de dénonciation doit être appréciée de manière plus large. Certains admettent ainsi que l’adjudicataire peut les dénoncer de telles circonstances aussi longtemps qu’elles perdurent.
  • Toutefois, si l’on peut en déduire un appel du Premier Ministre à une certaine souplesse de la part des adjudicateurs, il rappelle néanmoins que le délai de 30 jours est un délai soumis à peine de déchéance et que pour le respecter, l’adjudicataire doit dès lors notifier sa dénonciation le plus tôt possible.
  •  Une telle dénonciation doit exposer brièvement l’influence des circonstances imprévisibles sur le marché concerné (et non dans l’absolu) et il est préférable de l’adresser par recommandé afin de lui donner date certaine.

B. Envoyer à l’adjudicateur un justificatif précis du préjudice subi au plus tard dans les 90 jours qui suivent la réception provisoire du marché (article 38/16 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013).

Les modifications envisageables

Selon le Premier Ministre, lorsque les circonstances exceptionnelles ont une incidence sur l’exécution du marché, les parties peuvent envisager plusieurs types de modifications :

  • Un remplacement pur et simple de la clause de révision des prix pour la suite du marché

Pour ce faire, il peut être envisagé de modifier les indices.

Il est déconseillé dans ce cas de faire application d’indices trop généraux – comme l’indice « I » – pour leur préférer des paramètres plus spécifiques permettant d’avoir des formules de révision plus adaptée au marché en cause.

Il peut également être envisagé de modifier le terme fixe qui pourrait être réduit ou remplacé par « une référence à un indice approprié ».

  • Un remplacement momentané de la formule de révision des prix

Le Premier Ministre constate que les clauses de révision des prix fonctionnent souvent à contretemps. Elles permettent une révision des prix après que l’adjudicataire ait été victime de la fluctuation, voire à un moment où elle n’est plus d’actualité.

Pour éviter un tel décalage, les parties peuvent donc envisager de préserver l’équilibre contractuel en faisant application d’une formule provisoire selon laquelle l’adjudicateur paie provisoirement « un prix basé sur le dernier indice disponible », le prix étant ensuite définitivement réglé un ou plusieurs mois plus tard.

« Le règlement définitif peut donner lieu au versement d’un supplément de prix par le pouvoir adjudicateur ou à la restitution d’une partie du paiement provisoire par le contractant ».

  • La prise en compte des prix réels

Lorsque les deux premières solutions ne sont pas adaptées et que les conditions d’application de l’article 38/9 de l’arrêté royal du 14 janvier 2013 sont rencontrées, la recommandation préconise une troisième voie : l’octroi d’une indemnité compensatoire destinée à rétablir l’équilibre économique du contrat.

Le montant de l’indemnité pourrait par exemple être déterminé sur la base des prix réels que l’adjudicataire a dû supporter « pour l’achat des produits nécessaires à l’exécution du marché concret ».

La mise en œuvre d’une telle solution suppose que l’adjudicataire fournisse les preuves permettant d’établir précisément les surcoûts qu’il a dû assumer.

Les modalités à respecter

Le Premier Ministre précise que l’établissement a posteriori du préjudice subi par l’adjudicataire ne fait pas obstacle à l’application d’un prix provisionnel fixé sur la base de la méthodologie retenue dans le marché en cause.

Il est toutefois important que, dans un tel cas de figure, l’adjudicateur prévoit expressément une réévaluation périodique de la nécessité de maintenir un prix adapté mais aussi que les prix du contrat feront l’objet d’une « régularisation en fin de marché, à la hausse ou à la baisse, sur la base des justifications chiffrées liées au marché que l’adjudicataire pourra donner ».

Selon le Premier Ministre, l’adjudicateur devra faire toute diligence pour examiner les pièces qui lui seront transmises par l’adjudicataire en fin de contrat et qui démontreraient la nécessité d’une régularisation des prix. En effet, au-delà du risque de devoir payer des intérêts, le Premier Ministre insiste sur la nécessité de tenir compte des conséquences néfastes d’un retard complémentaire pour l’adjudicateur qui a déjà dû supporter seul les conséquences de la hausse des prix.

Incidence sur les marchés futurs

Les adjudicateurs qui rédigent leur cahier spécial des charges aujourd’hui n’ignorent pas la volatilité actuelle des prix.

Il leur est donc « conseillé » non seulement de prévoir une clause de révision des prix adaptée dans le cahier des charges mais également une clause de réexamen permettant d’adapter le prix du marché par exemple en cas de variation anormale des prix de l’énergie ou du carburant.

Selon le Premier Ministre, il est « préférable que l’utilisation de cette méthode soit aussi courte que possible et donc limitée dans le temps, quitte à l’envisager à nouveau pour une nouvelle période assez courte, si cela s’avère nécessaire ».

Quid des contrats de concession ?

A la différence de la circulaire du Premier Ministre français du 30 mars 2022 qui s’applique à l’ensemble de la Commande publique et donc aussi bien aux marchés publics qu’aux concessions, le Premier Ministre belge est muet à propos de ce deuxième type de contrat.

Pourtant, l’équilibre de ces contrats généralement de longue durée est également susceptible (voire plus encore) d’être bouleversé par les circonstances exceptionnelles actuelles.

Certes, dans les concessions, le risque est transféré au concessionnaire.

Cela ne vaut toutefois pas dire qu’il supporte tous les risques, même ceux qui découlent de la force majeure ou de l’imprévision.

Du reste, tant la Directive 2014/23/CE « sur l’attribution des contrats de concession » que les dispositions de droit belge qui la transposent, prévoient que le risque transféré au concessionnaire est « un risque d’exploitation lié à l’exploitation de ces travaux ou services, comprenant le risque lié à la demande, le risque lié à l’offre ou les deux ».  Ce risque doit, en outre, être mesuré dans des conditions « normales d’exploitation ».

A notre estime, les concessionnaires n’ont donc pas à assumer – encore moins seuls – les risques découlant des circonstances exceptionnelles actuelles, précisément parce qu’elles sont anormales et imprévisibles.

Sous peine d’être injustement discriminés, ils nous semblent être en droit de revendiquer également un rééquilibrage de leur contrat s’ils sont à même de démontrer l’ampleur du préjudice qu’ils subissent au-delà de la part de risque qu’il leur revient d’assumer.

Pour toute question en matière de marchés publics et de concessions, vous pouvez prendre contact avec Alexandre Paternostre ou Thomas Cambier.

Le caractère onéreux des marchés publics

A l’occasion d’un arrêt C-367/19 du 10 septembre 2020, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a estiméé que dans les marchés publics, une offre contenant un prix de zéro euro ne pouvait pas être exclue sans vérification préalable.

La CJUE apporte également des précisions quant à la détermination du caractère onéreux des marchés publics.

Quand un marché public doit-il être considéré comme onéreux ?

Pour être qualifié de marché public et soumis à cette législation, il faut notamment que le contrat soit conclu à titre onéreux.

Les marchés publics sont « des contrats à titre onéreux conclus par écrit entre un ou plusieurs opérateurs économiques et un ou plusieurs pouvoirs adjudicateurs et ayant pour objet l’exécution de travaux, la fourniture de produits ou la prestation de services »).

Article 2, § 1er, 5° de la Directive 2014/24

Dans son arrêt du 10 septembre 2020, la Cour juge que le contrat « à titre onéreux » s’entend d’un contrat par lequel chacune des parties s’engage à réaliser une prestation en contrepartie d’une autre (Arrêt C-367/19, pt. 25).

Plus que le paiement d’un prix, c’est donc le caractère synallagmatique du contrat –c’est-à-dire l’existence de prestations réciproques entre les parties–qui constitue une caractéristique essentielle d’un marché public.

Selon la Cour, n’est dès lors pas un marché public au sens de la directive 2014/24, « un contrat par lequel un pouvoir adjudicateur n’est juridiquement tenu de fournir aucune prestation en contrepartie de celle que son cocontractant s’est engagé à réaliser ».

Le paiement d’une somme d’argent n’est pas nécessairement requis

Dans de précédentes décisions, la Cour avait déjà précisé que la contreprestation du pouvoir adjudicateur ne devait pas nécessairement impliquer le transfert d’une somme d’argent. Il pourrait ainsi s’agir du remboursement, même partiel, des frais encourus (par exemple, CJUE, 18 octobre 2018, C-606/17, pt. 66), de l’exonération de charges ou de taxes.

À l’occasion de son arrêt du 10 septembre 2020, la Cour juge toutefois que la seule valeur économique d’un contrat pour un opérateur économique – parce qu’il lui ouvrirait la porte sur un nouveau marché ou qu’il lui permettrait d’obtenir des références – ne suffit pas pour qualifier ce contrat de « contrat à titre onéreux ». Elle se range de ce fait derrière l’analyse de l’Avocat général selon lequel n’y a pas de contrepartie dont l’exécution pourrait être légalement exigée du pouvoir adjudicateur  et que ces avantages constituent des paris sur l’avenir (Conclusions de l’Avocat général Bobek, 28 mai 2020, pt. 66).

Si un prix de zéro euro n’exclut pas qu’un contrat soit qualifié de marché public, c’est toutefois à la condition que le pouvoir adjudicateur soit redevable d’une prestation en nature qui présente une certaine valeur économique (fut-elle minime) pour le bénéficiaire du marché.

Que doit faire un pouvoir adjudicateur confronté à un prix « 0 » ?

Confronté à une offre contenant un prix zéro, un pouvoir adjudicateur ne peut pas l’exclure automatiquement.

Rien ne justifie qu’on la distingue d’une offre d’un montant de 10 euros ou de 100 euros, à partir du moment où toutes ces offres sont au-dessous des coûts du marché. 

Conclusions de l’Avocat général Bobek, 28 mai 2020, pt. 78.

Le pouvoir adjudicateur doit préalablement vérifier s’il s’agit ou non d’une offre anormalement basse et, conformément à la procédure prévue dans un tel cas de figure, demander au soumissionnaire des explications sur le montant de son offre, voire sur la nature exacte de la contrepartie de valeur économique qu’il attend du pouvoir adjudicateur (Conclusions de l’Avocat général Bobek, 28 mai 2020, pt. 83).

Le pouvoir adjudicateur ne peut rejeter une telle offre que si les éléments de preuve fournis n’expliquent pas de manière satisfaisante le niveau bas du prix ou des coûts proposés (Arrêt C-367/19, pt. 25).

Ainsi, une offre de zéro est susceptible de justification dans certains cas, par exemple si plusieurs soumissionnaires ont remis un prix « zéro » pour des prestations identifiées par le cahier des charges et l’ont tous justifié par une argumentation relativement plausible et similaire (C.E., 3 août 2016, n°235.580) .

En revanche, si ces explications mettent en évidence l’absence de fiabilité de l’offre ou un risque de défaut d’exécution du marché, l’offre devra alors être déclarée irrégulière (Arrêt C-367/19, pt. 25).

Les marchés publics excluent les libéralités au profit du pouvoir adjudicateur

Au vu de cette jurisprudence, il est confirmé que le soumissionnaire à un marché public n’est donc pas totalement libre de déterminer le prix proposé pour les prestations mises en concurrence.

Ainsi, il est exclu qu’il offre gratuitement des prestations à un pouvoir adjudicateur au seul motif qu’une telle offre s’inscrit dans une stratégie commerciale plus large.

On ne perdra pas de vue non plus qu’au-delà de la réglementation sur les marchés publics, la vente à perte est en principe interdite.

Pour plus de renseignements sur les marchés publics, vous pouvez contacter Alexandre PATERNOSTRE ou Thomas CAMBIER.

Le retrait d’une décision d’attribution d’un contrat public

Quelles sont les conditions pour retirer une décision d'attribution ?

Plusieurs arrêts récents du Conseil d’État permettent de faire le point sur la faculté, pour le pouvoir adjudicateur, de renoncer à attribuer un contrat en cours de procédure d’attribution, ainsi que sur la faculté de retirer une décision d’attribution après sa notification au candidat retenu .

La décision de retirer la décision d’attribuer le contrat après sa notification à l’adjudicateur retenu

La faculté du pouvoir adjudicateur de renoncer à l’attribution du contrat tout au long de la procédure d’attribution a été abordée dans un précédent article.

Le scénario que nous examinons ici et qui a donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État n°251.333 du 30 juillet 2021 est différent car cette fois-ci, le pouvoir adjudicateur change d’avis après avoir attribué le contrat à un soumissionnaire. Examinons le.

Ici, la Région wallonne a attribué une concession domaniale à long terme à la Ville de Dinant en vue de l’aménagement de la rive droite de la Meuse.

En vue d’exécuter cette concession domaniale, le conseil communal de la Ville de Dinant adopte un règlement relatif à l’attribution des embarcadères situés le long de la Croisette. Le Collège communal attribue ensuite un droit d’exploitation d’une durée de dix ans portant sur des embarcadères situés sur la rive droite de la Meuse à la s.a. Dinant Évasion en vue de l’exploitation des bateaux « Mamy », « Jacynthe » et « Adonis ».

Après que le bénéficiaire de cette décision ait levé une option d’achat sur ces trois pénichettes, la Ville de Dinant décide de retirer sa décision d’attribution et informe la s.a. Dinant Évasion qu’elle ne peut plus exploiter les embarcadères concernés.

Ce faisant, la Ville de Dinant retire une décision individuelle qui a créé un avantage dans le chef de la s.a. Dinant Évasion, en s’autorisant de la théorie dite du retrait d’acte d’administratif.

La théorie du retrait d’acte administratif : qu’est-ce que c’est ?

La théorie du retrait d’acte administratif est une création jurisprudentielle fondamentale en droit administratif. 

Conformément à cette théorie, une autorité publique est en droit de retirer une décision qu’elle a adoptée et qui crée un droit dans le chef de son destinataire (c’est-à-dire un acte administratif individuel créateur de droit), pour autant que deux conditions soient réunies :

  • La première condition est temporelle: le retrait ne peut intervenir que tant que l’acte à retirer n’est pas encore devenu définitif. C’est-à dire concrètement :
    • pendant la durée du délai pour introduire un recours en annulation au Conseil d’État (soit 60 jours si l’acte a été correctement notifié ou publié)
    • si un tel recours a été introduit dans le temps, jusqu’à l’issue de la procédure au conseil d’Etat (à ce sujet, arrêt du Conseil d’État n°244.666 du 4 juin 2019).
  • Le seconde condition tient à la légalité de l’acte à retirer : un retrait ne peut intervenir que dans l’hypothèse où l’acte était entaché d’une illégalité que l’autorité concernée doit exposer dans sa décision motivée de retrait (à ce sujet, arrêt du Conseil d’État n°223.533 du 21 mai 2013).

Une décision de retrait d’un acte administratif produit les mêmes effets qu’un arrêt d’annulation du Conseil d’État : l’acte administratif en question est réputé n’avoir jamais existé.

Ainsi, à la suite et par l’effet du retrait d’un acte administratif créateur de droit, l’autorité se  retrouve dans la situation juridique qui prévalait la veille de cette décision retirée (C.E., n°249.815 du 10 février 2021).

L’objet de cette théorie est donc de permettre à l’autorité administrative de retirer une décision illégale plutôt que de devoir attendre l’issue d’une procédure au Conseil d’État, voire d’une action en responsabilité pour faute qui serait intentée à son encontre devant les cours et tribunaux. Une telle solution qui consacre le droit à l’erreur de l’administration (mais aussi son droit à réparer ses erreurs), participe dès lors à la sécurité juridique.

La décision de retirer un acte créateur de droit est évidemment susceptible de causer du tort au bénéficiaire de la décision retirée. Celui-ci peut donc introduire un recours à son encontre devant le Conseil d’Etat.

On notera qu’un acte administratif qui n’est pas créateur de droit peut être retiré à tout moment, même pour de simples motifs d’opportunité : on part ici de l’idée que le retrait de cet acte ne cause de tort à personne.

Le retrait opéré par la Ville de Dinant était-il régulier ?

En l’espèce, le retrait de la décision d’attribution est intervenu avant la fin du délai de recours en annulation au Conseil d’Etat contre cette décision (60 jours). La première condition de la mise en œuvre d’un retrait d’acte est donc remplie.

Par contre, la s.a. Dinant Évasion estime que les motifs invoqués par la Ville de Dinant dans sa décision de retrait – le fait que la décision d’attribution contrevenait à des obligations contractées par la Ville dans le cadre de la concession domaniale à long terme “Dinant-Croisette” et à des « réglementations supérieures » – ne sont pas fondés.

Elle introduit dès lors un recours en suspension d’extrême urgence devant le Conseil d’État contre cette décision.

L’importance de la motivation de la décision de retrait

Au terme de son examen du dossier, le Conseil d’État estime que les motifs de l’acte attaqué n’identifient pas, avec la précision requise, en quoi la décision du collège communal d’attribuer le contrat à la s.a. Dinant Évasion serait contraire à la concession domaniale conclue entre la Région wallonne et la Ville de Dinant, ni à quelles normes supérieures elle contreviendrait.

Le Conseil d’État juge dès lors que, à première vue, la décision de retrait n’est pas correctement motivée et qu’elle doit être suspendue.

Suite à cette décision, la décision d’attribution initiale est réputée toujours existante et produit à nouveau ses effets. En conséquence, la s.a. Dinant Évasion retrouve le droit d’exploiter les embarcadères au moins provisoirement.

Attention, l’application du retrait d’acte en matière de contrats publics est susceptibles d’entrainer d’épineuses questions notamment lorsque le pouvoir adjudicateur retire sa décision alors que le contrat est conclu. Se posera alors la question de l’incidence de ce retrait sur ce contrat « valablement » conclu ou non.

Pour plus de renseignements sur les recours en matière de marchés publics ou sur le retrait des actes administratifs, vous pouvez contacter Alexandre PATERNOSTRE ou Thomas CAMBIER.

La renonciation à l’attribution d’un contrat public

Plusieurs arrêts récents du Conseil d’Etat permettent de faire le point sur la faculté, pour le pouvoir adjudicateur, de renoncer à attribuer un contrat en cours de procédure d’attribution, ainsi que sur la faculté de retirer une décision d’attribution après sa notification au candidat retenu .

Dans cet article, nous nous penchons sur le cas où le pouvoir adjudicateur renonce à attribuer un marché en cours de procédure. Le scénario où le pouvoir adjudicateur décide de changer son fusil d’épaule après avoir attribué un contrat est abordé par ici .

La décision de ne pas attribuer le marché en cours de procédure

Un pouvoir adjudicateur n’a jamais l’obligation de mener à son terme une procédure d’attribution d’un contrat qu’il a initiée. Il peut toujours renoncer à attribuer le marché, à tous les stades de la procédure d’attribution.

Il s’agit de l’expression de la loi du changement qui constitue un principe de base de l’action administrative. Cette faculté est d’ailleurs consacrée expressément tant dans la loi du 17 juin 2016 « relative aux marchés publics » (article 85), que dans la loi du 17 juin 2016 « relative aux concessions » (article 56).

Une décision qui doit être motivée au fond et en la forme

Dans son arrêt n°251.280 du 16 juillet 2021, le Conseil d’Etat relève qu’une telle décision « relève du pouvoir discrétionnaire de l’adjudicateur qui fait ce choix en opportunité ».

Si sa décision doit reposer sur des motifs exacts, pertinents et admissibles, repris dans une motivation formelle (n°251.280 du 16 juillet 2021), les raisons d’intérêt général susceptibles d’être invoquées pour la justifier sont légion : de potentiels problèmes de légalité de la procédure d’attribution, l’évolution de ses besoins, le timing, la réception d’une seule ou d’un nombre trop limité d’offres, la réception d’offres pas suffisamment performantes du point de vue technique ou avantageuses du point de vue économique, des risques élevés de contestations, … .

Le Conseil d’Etat relève également que le pouvoir adjudicateur peut s’appuyer sur une pluralité de motifs, ce qui rend sa décision plus difficilement critiquable (n°250.927 du 17 juin 2021).

Une décision qui est susceptible de recours

La décision de renoncer à attribuer un marché est susceptible de faire l’objet d’un recours sur la base de la loi « recours » du 17 juin 2013 de la part du ou des candidat(s) soumissionnaire(s) dans la mesure où elle leur cause grief. En effet, en raison de cette décision, le ou les candidats aux contrats se voient privés d’une chance (plus ou moins grande) de se voir attribuer le contrat (C.E., n°250.927 du 17 juin 2021).

L’opportunité d’un recours contre ce type de décision n’est pas évidente

L’opportunité d’introduire un tel recours se mesurera au cas par cas mais elle est souvent limitée pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, compte tenu du large pouvoir discrétionnaire qui est reconnu au pouvoir adjudicateur en la matière, le contrôle du Conseil d’Etat ou du juge judicaire sera forcément marginal : il se limitera essentiellement à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

En outre, même si le recours devait aboutir, par exemple parce que la motivation de la décision de renonciation n’était pas régulière, rien ne garantit que le pouvoir adjudicateur ne pourra pas prendre une nouvelle décision de renoncer à l’attribution du marché, mieux motivée.

Enfin, il existe de grandes chances que le pouvoir adjudicateur relance la procédure à laquelle il a renoncé. Dans un tel cas de figure, le soumissionnaire qui aura attaqué la décision de renoncer à la première procédure pourrait voir sa position déforcée lors de la seconde mise en concurrence, en particulier si un ou plusieurs critères d’attribution laisse une marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur.

Pour plus de renseignements sur les recours en matière de marchés publics ou sur le retrait des actes administratifs, vous pouvez contacter Alexandre PATERNOSTRE ou Thomas CAMBIER.

Quel(s) juge(s) compétent(s) en cas de recours contre l’attribution d’un marché public ?

Dans un récent arrêt du 26 novembre 2020, la Cour constitutionnelle juge que la loi organisant les recours marchés publics ne cause pas de discrimination en prévoyant des instances de recours différentes selon que le marché émane d’une autorité administrative dite« organique » (compétence du Conseil d’Etat) ou d’une autorité administrative dite « fonctionnelle » (compétence du juge judiciaire).

Dans l’arrêt épinglé, la Cour revient sur la notion d’autorité administrative et juge que le contrôle effectué par la section du contentieux administratif du Conseil d’État et celui effectué par le juge judiciaire sont équivalents.

Le juge diffère selon la nature du pouvoir adjudicateur

Conformément à la loi, il faut distinguer deux hypothèses :

  • Soit le pouvoir adjudicateur est une autorité administrative et il faut agir devant le Conseil d’Etat
  • Soit le pouvoir adjudicateur n’est pas une autorité administrative et il faut agir devant le juge judiciaire (en principe le Tribunal de première instance)

L’arrêt de la Cour constitutionnelle met en évidence les difficultés que suscitent l’application de cette distinction théorique. En effet, la jurisprudence impose en réalité de distinguer trois catégories (et pas deux).

Voilà pour la théorie (largement résumée). En pratique, la distinction est parfois très délicate et peut conduire à des situations complexes, surtout lorsqu’il s’agit de déterminer si le pouvoir adjudicateur est une autorité administrative organique ou fonctionnelle.

1. Certains pouvoirs adjudicateurs ont la qualité d’autorité administrative organique.

  • Il s’agit, en résumé, des autorités publiques créées par ou en vertu de la Constitution ou des lois.
  • Dans ce cas, il faudra agir Conseil d’Etat, qui est le juge « naturel » de l’action administrative.

2. D’autres ont la qualité d’autorité administrative fonctionnelle.

    • Il s’agit essentiellement de personnes de droit privé qui exercent des missions de service public et qui disposent d’une parcelle de puissance publique (on parle d’« imperium »). Il peut s’agir, par exemple d’une université « privée », de l’aéroport de Liège (comme dans l’affaire traitée par la Cour constitutionnelle), de certaines sociétés de logements sociaux…
    • Dans ce cas, c’est le juge judiciaire qui est compétent en cas de recours contre un marché.

3. D’autres n’ont pas la qualité d’autorité administrative mais sont soumis à la législation sur les marchés publics par la loi (par exemple, les hôpitaux privés).

    • Il s’agit en général de personnes morales de droit public qui exercent une activité d’intérêt général sans disposer de l’imperium.
    • Dans ce cas, c’est également le juge judiciaire qui est compétent

Méfiez-vous de la voie de recours mentionnée par le pouvoir adjudicateur

Cet arrêt est l’occasion de rappeler à celui qui entend agir contre l’attribution d’un contrat public qu’il doit systématiquement vérifier si le pouvoir adjudicateur est ou non une autorité administrative (organique) afin d’agir devant le bon juge.

Le fait que le pouvoir adjudicateur renseigne, dans son courrier de notification, que le recours peut être introduit devant tel ou tel juge ne signifie pas que ce juge sera forcément compétent. Il arrive que les pouvoirs adjudicateurs se trompent sur leur propre qualification et que le soumissionnaire soit ainsi induit en erreur.

Si le doute persiste même après un examen par un avocat spécialisé en droit des marchés publics, il est alors plus prudent d’agir devant le Conseil d’Etat et devant le juge judiciaire, quitte à ce que l’une de ces deux actions soit finalement déclarée irrecevable.

Au-delà du juge compétent, on gardera à l’esprit que la qualification d’autorité administrative emporte d’autres conséquences qui valent aussi en matière de marchés publics (application des principes de bonne administration, application de la théorie du retrait d’acte administratif, application de l’article 159 de la Constitution …).