L’arrêt n°259.078 du Conseil d’État rendu le 8 mars 2024 tombe à pic. Il met en lumière les restrictions imposées au Gouvernement pendant les périodes dites « d’affaires courantes ».
Un gouvernement qui a présenté sa démission « ne dispose plus de la plénitude de ses attributions« . Il ne peut plus exercer d’activité que ce soit en tant qu’organe exécutif ou en tant que membre du Pouvoir législatif. Il peut uniquement expédier les « affaires courantes« .
C’est quoi une affaire courante ?
Par affaires courantes, il faut entendre (1) les affaires relevant de la gestion journalière, (2) les affaires constituant la poursuite normale d’une procédure régulièrement engagée avant la dissolution du Parlement et la démission du Gouvernement et (3) les affaires urgentes.
Il n’y a pas de règle écrite qui limite les attributions du Gouvernement fédéral durant la période d’affaires courantes. En effet, le Conseil d’État constate qu’elle ne ressort ni de la Constitution ni d’aucune autre disposition légale. Il s’agit d’une coutume constitutionnelle liée aux principes de la continuité du service public et de la responsabilité ministérielle dans un système parlementaire.
Cette règle relève de l’ordre public puisqu’elle concerne la compétence du Gouvernement. Par conséquent, si une décision prise par le Gouvernement démissionnaire n’entre pas dans le champ d’application des affaires courantes, elle est illégale.
L’arrêté attaqué entre-t-il dans le champ d’application des affaires courantes ?
Le recours en annulation concerne l’arrêté royal du 20 septembre 2020 « relatif à la permanence médicale par les médecins généralistes et à l’agrément de coopération fonctionnelle ». Le Gouvernement l’a adopté durant la longue période d’affaires courantes qui a suivi la présentation de sa démission au Roi, le 21 décembre 2018.
Selon l’association de médecins généralistes qui sollicitait l’annulation de cet arrêté, cet arrêté dépasse la notion d’affaires courantes.
Le Gouvernement belge prétendait que cet arrêté constituerait la continuation d’une procédure engagée avant la dissolution du Parlement.
La poursuite d’une procédure entamée avant la dissolution du Parlement
Selon le Conseil d’État, pour qu’un acte posé par le Gouvernement constitue la poursuite d’une procédure entamée avant sa démission et la dissolution du Parlement, il faut cumuler trois conditions :
- L’engagement de la procédure donnant lieu à la décision concernée bien avant la période critique ;
- Que cette procédure se règle sans précipitation ;
- La résolution des questions politiques qui ont pu se poser avant la période critique.
Ne relèvent donc pas de cette catégorie, les affaires dont le traitement donne lieu à des choix politiques importants. Il s’agit de celles :
« qui impliquent des options dont l’importance sur le plan de la politique générale est par essence telle que ces affaires ne pourraient être décidées que par un gouvernement qui a l’appui du parlement et qui risque de perdre cet appui en raison de la décision qu’il a prise »
C.E., arrêt n°259.078
L’arrêté attaqué contient des choix politiques
Le Conseil d’État relève que l’arrêté attaqué contient des choix politiques à propos des conditions applicables aux coopérations fonctionnelles des médecins généralistes que la loi charge d’assurer la permanence médicale. Il s’agit de choix importants dans la mesure où ils ont une incidence :
- sur la manière dont les Communautés pourront exercer leurs compétences normatives en matière d’organisation de la médecine de première ligne (notamment les cercles de médecins généralistes) ;
- les modalités applicables aux médecins généralistes dans le cadre de leurs obligations en matière de permanences médicales.
…posés après la démission du Gouvernement
L’État belge soutient que plusieurs documents montreraient que le Gouvernement a posé ces choix politiques avant de démissionner. Il invoque l’accord du Gouvernement conclu en 2014, un audit des postes de garde, une note conceptuelle du 15 décembre 2017, l’accord médico-mutualiste 2018-2019, les procès-verbaux de la plateforme d’accompagnement, etc.
Le Conseil d’État procède à l’examen de chacun de ces documents.
Ainsi, il juge que l’accord de gouvernement porte la volonté politique de réformer les services de garde de la médecine générale. Mais ne contient aucune option politique précise à ce sujet.
L’accord médico-mutualiste constitue un accord entre les mutuelles et les médecins à propos du financement des soins de santé. Cet accord ne vise donc pas à établir un cadre réglementaire pour la permanence des soins médicaux. De plus, cet accord mentionne un cadre légal futur à adopter après consultation de certains organes. Il présente également des options différentes de celles retenues dans l’acte attaqué.
A propos d’autres documents, le Conseil d’État relève qu’il s’agit de documents préparatoires, de nature administrative. Or, de tels documents d’orientation ou avis ne peuvent pas poser de choix politiques. D’ailleurs, certains d’entre eux contiennent des options différentes de celles qui ont finalement été retenues.
Le Conseil d’État souligne que:
« La réflexion menée à un niveau administratif sur l’élaboration d’un texte et l’identification des options privilégiées à ce niveau ne peuvent suffire à considérer que les questions politiques ont été résolues. De manière générale, l’exigence d’un choix politique ne peut être constaté que lorsque l’autorité politique soumise au contrôle du Parlement a, d’une manière ou d’une autre, elle-même clarifié sa position, par exemple en transmettant officiellement un arrêté en projet à une autorité ou à un organe consultatif pour l’examiner ».
Incompétence = annulation
Le Conseil d’État estime donc que le Gouvernement n’a pas arrêté les options contenues dans l’arrêté attaqué avant sa démission. Il en conclut à l’incompétence du Gouvernement et procède à l’annulation de l’arrêté royal en cause.
Pour toute question à propos d’un acte adopté en période d’affaires courantes, vous pouvez contacter Alexandre Paternostre,ou Thomas Cambier