Le retrait d’une décision d’attribution d’un contrat public

Une rivière dans une ville au coucher du soleil avec des bateaux naviguant sur l'eau. La scène est illuminée par les lumières de la ville, tandis que des bâtiments historiques comme une église et un kremlin bordent la rive du fleuve, semblables à la contemplation de ce qui sont les conditions pour retirer une décision d'attribution dans leur élégance inébranlable.

Plusieurs arrêts récents du Conseil d’État permettent de faire le point sur la faculté, pour le pouvoir adjudicateur, de renoncer à attribuer un contrat en cours de procédure d’attribution, ainsi que sur la faculté de retirer une décision d’attribution après sa notification au candidat retenu .

La décision de retirer la décision d’attribuer le contrat après sa notification à l’adjudicateur retenu

La faculté du pouvoir adjudicateur de renoncer à l’attribution du contrat tout au long de la procédure d’attribution a été abordée dans un précédent article.

Le scénario que nous examinons ici et qui a donné lieu à l’arrêt du Conseil d’État n°251.333 du 30 juillet 2021 est différent car cette fois-ci, le pouvoir adjudicateur change d’avis après avoir attribué le contrat à un soumissionnaire. Examinons le.

Ici, la Région wallonne a attribué une concession domaniale à long terme à la Ville de Dinant en vue de l’aménagement de la rive droite de la Meuse.

En vue d’exécuter cette concession domaniale, le conseil communal de la Ville de Dinant adopte un règlement relatif à l’attribution des embarcadères situés le long de la Croisette. Le Collège communal attribue ensuite un droit d’exploitation d’une durée de dix ans portant sur des embarcadères situés sur la rive droite de la Meuse à la s.a. Dinant Évasion en vue de l’exploitation des bateaux « Mamy », « Jacynthe » et « Adonis ».

Après que le bénéficiaire de cette décision ait levé une option d’achat sur ces trois pénichettes, la Ville de Dinant décide de retirer sa décision d’attribution et informe la s.a. Dinant Évasion qu’elle ne peut plus exploiter les embarcadères concernés.

Ce faisant, la Ville de Dinant retire une décision individuelle qui a créé un avantage dans le chef de la s.a. Dinant Évasion, en s’autorisant de la théorie dite du retrait d’acte d’administratif.

La théorie du retrait d’acte administratif : qu’est-ce que c’est ?

La théorie du retrait d’acte administratif est une création jurisprudentielle fondamentale en droit administratif. 

Conformément à cette théorie, une autorité publique est en droit de retirer une décision qu’elle a adoptée et qui crée un droit dans le chef de son destinataire (c’est-à-dire un acte administratif individuel créateur de droit), pour autant que deux conditions soient réunies :

  • La première condition est temporelle: le retrait ne peut intervenir que tant que l’acte à retirer n’est pas encore devenu définitif. C’est-à dire concrètement :
    • pendant la durée du délai pour introduire un recours en annulation au Conseil d’État (soit 60 jours si l’acte a été correctement notifié ou publié)
    • si un tel recours a été introduit dans le temps, jusqu’à l’issue de la procédure au conseil d’Etat (à ce sujet, arrêt du Conseil d’État n°244.666 du 4 juin 2019).
  • Le seconde condition tient à la légalité de l’acte à retirer : un retrait ne peut intervenir que dans l’hypothèse où l’acte était entaché d’une illégalité que l’autorité concernée doit exposer dans sa décision motivée de retrait (à ce sujet, arrêt du Conseil d’État n°223.533 du 21 mai 2013).

Une décision de retrait d’un acte administratif produit les mêmes effets qu’un arrêt d’annulation du Conseil d’État : l’acte administratif en question est réputé n’avoir jamais existé.

Ainsi, à la suite et par l’effet du retrait d’un acte administratif créateur de droit, l’autorité se  retrouve dans la situation juridique qui prévalait la veille de cette décision retirée (C.E., n°249.815 du 10 février 2021).

L’objet de cette théorie est donc de permettre à l’autorité administrative de retirer une décision illégale plutôt que de devoir attendre l’issue d’une procédure au Conseil d’État, voire d’une action en responsabilité pour faute qui serait intentée à son encontre devant les cours et tribunaux. Une telle solution qui consacre le droit à l’erreur de l’administration (mais aussi son droit à réparer ses erreurs), participe dès lors à la sécurité juridique.

La décision de retirer un acte créateur de droit est évidemment susceptible de causer du tort au bénéficiaire de la décision retirée. Celui-ci peut donc introduire un recours à son encontre devant le Conseil d’Etat.

On notera qu’un acte administratif qui n’est pas créateur de droit peut être retiré à tout moment, même pour de simples motifs d’opportunité : on part ici de l’idée que le retrait de cet acte ne cause de tort à personne.

Le retrait opéré par la Ville de Dinant était-il régulier ?

En l’espèce, le retrait de la décision d’attribution est intervenu avant la fin du délai de recours en annulation au Conseil d’Etat contre cette décision (60 jours). La première condition de la mise en œuvre d’un retrait d’acte est donc remplie.

Par contre, la s.a. Dinant Évasion estime que les motifs invoqués par la Ville de Dinant dans sa décision de retrait – le fait que la décision d’attribution contrevenait à des obligations contractées par la Ville dans le cadre de la concession domaniale à long terme “Dinant-Croisette” et à des « réglementations supérieures » – ne sont pas fondés.

Elle introduit dès lors un recours en suspension d’extrême urgence devant le Conseil d’État contre cette décision.

L’importance de la motivation de la décision de retrait

Au terme de son examen du dossier, le Conseil d’État estime que les motifs de l’acte attaqué n’identifient pas, avec la précision requise, en quoi la décision du collège communal d’attribuer le contrat à la s.a. Dinant Évasion serait contraire à la concession domaniale conclue entre la Région wallonne et la Ville de Dinant, ni à quelles normes supérieures elle contreviendrait.

Le Conseil d’État juge dès lors que, à première vue, la décision de retrait n’est pas correctement motivée et qu’elle doit être suspendue.

Suite à cette décision, la décision d’attribution initiale est réputée toujours existante et produit à nouveau ses effets. En conséquence, la s.a. Dinant Évasion retrouve le droit d’exploiter les embarcadères au moins provisoirement.

Attention, l’application du retrait d’acte en matière de contrats publics est susceptibles d’entrainer d’épineuses questions notamment lorsque le pouvoir adjudicateur retire sa décision alors que le contrat est conclu. Se posera alors la question de l’incidence de ce retrait sur ce contrat « valablement » conclu ou non.

Pour plus de renseignements sur les recours en matière de marchés publics ou sur le retrait des actes administratifs, vous pouvez contacter Alexandre PATERNOSTRE ou Thomas CAMBIER.

La renonciation à l’attribution d’un contrat public

Mallette ouverte avec des dossiers marron et des documents éparpillés sur une table.

Plusieurs arrêts récents du Conseil d’Etat permettent de faire le point sur la faculté, pour le pouvoir adjudicateur, de renoncer à attribuer un contrat en cours de procédure d’attribution, ainsi que sur la faculté de retirer une décision d’attribution après sa notification au candidat retenu .

Dans cet article, nous nous penchons sur le cas où le pouvoir adjudicateur renonce à attribuer un marché en cours de procédure. Le scénario où le pouvoir adjudicateur décide de changer son fusil d’épaule après avoir attribué un contrat est abordé par ici .

La décision de ne pas attribuer le marché en cours de procédure

Un pouvoir adjudicateur n’a jamais l’obligation de mener à son terme une procédure d’attribution d’un contrat qu’il a initiée. Il peut toujours renoncer à attribuer le marché, à tous les stades de la procédure d’attribution.

Il s’agit de l’expression de la loi du changement qui constitue un principe de base de l’action administrative. Cette faculté est d’ailleurs consacrée expressément tant dans la loi du 17 juin 2016 « relative aux marchés publics » (article 85), que dans la loi du 17 juin 2016 « relative aux concessions » (article 56).

Une décision qui doit être motivée au fond et en la forme

Dans son arrêt n°251.280 du 16 juillet 2021, le Conseil d’Etat relève qu’une telle décision « relève du pouvoir discrétionnaire de l’adjudicateur qui fait ce choix en opportunité ».

Si sa décision doit reposer sur des motifs exacts, pertinents et admissibles, repris dans une motivation formelle (n°251.280 du 16 juillet 2021), les raisons d’intérêt général susceptibles d’être invoquées pour la justifier sont légion : de potentiels problèmes de légalité de la procédure d’attribution, l’évolution de ses besoins, le timing, la réception d’une seule ou d’un nombre trop limité d’offres, la réception d’offres pas suffisamment performantes du point de vue technique ou avantageuses du point de vue économique, des risques élevés de contestations, … .

Le Conseil d’Etat relève également que le pouvoir adjudicateur peut s’appuyer sur une pluralité de motifs, ce qui rend sa décision plus difficilement critiquable (n°250.927 du 17 juin 2021).

Une décision qui est susceptible de recours

La décision de renoncer à attribuer un marché est susceptible de faire l’objet d’un recours sur la base de la loi « recours » du 17 juin 2013 de la part du ou des candidat(s) soumissionnaire(s) dans la mesure où elle leur cause grief. En effet, en raison de cette décision, le ou les candidats aux contrats se voient privés d’une chance (plus ou moins grande) de se voir attribuer le contrat (C.E., n°250.927 du 17 juin 2021).

L’opportunité d’un recours contre ce type de décision n’est pas évidente

L’opportunité d’introduire un tel recours se mesurera au cas par cas mais elle est souvent limitée pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, compte tenu du large pouvoir discrétionnaire qui est reconnu au pouvoir adjudicateur en la matière, le contrôle du Conseil d’Etat ou du juge judicaire sera forcément marginal : il se limitera essentiellement à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

En outre, même si le recours devait aboutir, par exemple parce que la motivation de la décision de renonciation n’était pas régulière, rien ne garantit que le pouvoir adjudicateur ne pourra pas prendre une nouvelle décision de renoncer à l’attribution du marché, mieux motivée.

Enfin, il existe de grandes chances que le pouvoir adjudicateur relance la procédure à laquelle il a renoncé. Dans un tel cas de figure, le soumissionnaire qui aura attaqué la décision de renoncer à la première procédure pourrait voir sa position déforcée lors de la seconde mise en concurrence, en particulier si un ou plusieurs critères d’attribution laisse une marge d’appréciation au pouvoir adjudicateur.

Pour plus de renseignements sur les recours en matière de marchés publics ou sur le retrait des actes administratifs, vous pouvez contacter Alexandre PATERNOSTRE ou Thomas CAMBIER.