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Report des délais de recours en période Corona? Un piège dangereux !

Une personne portant des chaussures marron et un jean bleu marche sur un chewing-gum rose collant, dont les fils s'étirent entre la chaussure et le trottoir, presque comme si elle était coincée dans un blocage dû au coronavirus. L'arrière-plan révèle une verdure floue et une ligne jaune sur l'asphalte.

Durant la première période de confinement, les entités fédérales et fédérées ont adopté diverses dispositions visant à suspendre ou prolonger les délais impartis aux justiciables pour introduire leurs recours ou procédures devant les juridictions (voir à ce sujet notre inventaire des mesures Corona). Ces reports se justifiaient par les difficultés d’organisation que causait le confinement imposé à tous.

Des recours introduits en dehors des délais de recours classiques

Au Conseil d’Etat, le délai « classique » pour l’introduction d’un recours en annulation est de soixante jours. Le dépassement de ce délai conduit à rendre le recours irrecevable. Il s’agit d’une exception d’ordre public, ce qui implique qu’elle peut être soulevée d’office par le Conseil d’Etat.

Certains requérants se sont fondés sur les arrêtés « Corona » qui prévoyaient la suspension de ce délai de recours au Conseil d’Etat et ont donc introduit leurs recours au-delà de ce délai de soixante jours.

Pour certains d’entre eux, bien mal leur en a pris puisque, dans un arrêt du 24 novembre 2020, le Conseil d’Etat a déclaré un tel recours irrecevable en s’autorisant de l’illégalité des arrêtés de pouvoirs spéciaux qui prévoyaient cette suspension du délai.

Le Conseil d’Etat a décidé de procéder à cet examen alors même qu’aucune des parties n’avait invoqué la tardiveté du recours. Il souligne qu’il s’agit d’une exception d’ordre public que le Conseil d’Etat peut examiner d’office!

Pourquoi le Conseil d’Etat refuse de tenir compte de la suspension du délai?

Le Conseil d’Etat constate que la suspension du délai sur laquelle se fondent les requérants repose sur l’arrêté de pouvoirs spéciaux n° 2 du 18 mars 2020 adopté par le Gouvernement wallon. Un arrêté ultérieur n° 20 du 18 avril 2020 prolonge cette période de suspension des délais.

Cependant, le Conseil d’Etat estime que ces deux arrêtés sont illégaux et qu’il ne peut pas les appliquer dans la mesure où ils ont été pris par le Gouvernement wallon en s’appuyant sur les pouvoirs implicites consacrés par l’article 10 de la loi spéciale du 8 août 1980. Or, cette disposition accorde uniquement aux législateurs et non pas aux Gouvernements de faire usage des pouvoirs implicites. Le Conseil d’Etat ajoute que la condition de la « nécessité » d’adopter cet arrêté de pouvoirs spéciaux n’est pas remplie en l’espèce.

L’application des arrêtés prolongeant les délais de recours devant être écartée, le Conseil d’Etat ne peut plus que constater que le recours en annulation a été introduit tardivement, car au-delà du délai « classique » de 60 jours !

La légitime confiance et la force majeure?

S’estimant piégée par une illégalité commise par la Région wallonne, la requérant a tenté d’invoquer la légitime confiance que tout administré doit pouvoir accorder aux autorités publiques, pour demander au Conseil d’Etat de faire primer les règles énoncées par cet arrêté de pouvoirs spéciaux sur les règles classiques de procédure.

Le Conseil d’Etat répond que ce principe de légitime confiance ne permet pas de passer outre l’application des règles d’ordre public d’organisation d’une procédure juridictionnelle.

Enfin, le Conseil d’Etat estime que la requérante n’a pas été en mesure de démontrer un cas de force majeure qui justifierait un report du délai.

Un cadeau empoisonné aux administrés

Les craintes que nous avions par rapport à ces dispositions reportant les délais de recours se sont donc bel et bien matérialisées. Plutôt que d’offrir aux justiciables un instrument fiable, les dispositions reportant les délais de procédures créent une insécurité juridique supplémentaire et ont conduit, en l’espèce, à piéger un administré en lui laissant croire qu’il disposait d’un délai supplémentaire pour introduire son recours!

Nous ne pouvons donc qu’inciter à la plus grande prudence et inviter les praticiens, lorsque cela est encore possible, à tout faire pour introduire leurs recours dans les délais prévu selon la procédure « normale ».