Dans un récent arrêt du 26 novembre 2020, la Cour constitutionnelle juge que la loi organisant les recours marchés publics ne cause pas de discrimination en prévoyant des instances de recours différentes selon que le marché émane d’une autorité administrative dite« organique » (compétence du Conseil d’Etat) ou d’une autorité administrative dite « fonctionnelle » (compétence du juge judiciaire).
Dans l’arrêt épinglé, la Cour revient sur la notion d’autorité administrative et juge que le contrôle effectué par la section du contentieux administratif du Conseil d’État et celui effectué par le juge judiciaire sont équivalents.
Le juge diffère selon la nature du pouvoir adjudicateur
Conformément à la loi, il faut distinguer deux hypothèses :
- Soit le pouvoir adjudicateur est une autorité administrative et il faut agir devant le Conseil d’Etat
- Soit le pouvoir adjudicateur n’est pas une autorité administrative et il faut agir devant le juge judiciaire (en principe le Tribunal de première instance)
L’arrêt de la Cour constitutionnelle met en évidence les difficultés que suscitent l’application de cette distinction théorique. En effet, la jurisprudence impose en réalité de distinguer trois catégories (et pas deux).
Voilà pour la théorie (largement résumée). En pratique, la distinction est parfois très délicate et peut conduire à des situations complexes, surtout lorsqu’il s’agit de déterminer si le pouvoir adjudicateur est une autorité administrative organique ou fonctionnelle.
1. Certains pouvoirs adjudicateurs ont la qualité d’autorité administrative organique.
- Il s’agit, en résumé, des autorités publiques créées par ou en vertu de la Constitution ou des lois.
- Dans ce cas, il faudra agir Conseil d’Etat, qui est le juge « naturel » de l’action administrative.
2. D’autres ont la qualité d’autorité administrative fonctionnelle.
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- Il s’agit essentiellement de personnes de droit privé qui exercent des missions de service public et qui disposent d’une parcelle de puissance publique (on parle d’« imperium »). Il peut s’agir, par exemple d’une université « privée », de l’aéroport de Liège (comme dans l’affaire traitée par la Cour constitutionnelle), de certaines sociétés de logements sociaux…
- Dans ce cas, c’est le juge judiciaire qui est compétent en cas de recours contre un marché.
3. D’autres n’ont pas la qualité d’autorité administrative mais sont soumis à la législation sur les marchés publics par la loi (par exemple, les hôpitaux privés).
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- Il s’agit en général de personnes morales de droit public qui exercent une activité d’intérêt général sans disposer de l’imperium.
- Dans ce cas, c’est également le juge judiciaire qui est compétent
Méfiez-vous de la voie de recours mentionnée par le pouvoir adjudicateur
Cet arrêt est l’occasion de rappeler à celui qui entend agir contre l’attribution d’un contrat public qu’il doit systématiquement vérifier si le pouvoir adjudicateur est ou non une autorité administrative (organique) afin d’agir devant le bon juge.
Le fait que le pouvoir adjudicateur renseigne, dans son courrier de notification, que le recours peut être introduit devant tel ou tel juge ne signifie pas que ce juge sera forcément compétent. Il arrive que les pouvoirs adjudicateurs se trompent sur leur propre qualification et que le soumissionnaire soit ainsi induit en erreur.
Si le doute persiste même après un examen par un avocat spécialisé en droit des marchés publics, il est alors plus prudent d’agir devant le Conseil d’Etat et devant le juge judiciaire, quitte à ce que l’une de ces deux actions soit finalement déclarée irrecevable.
Au-delà du juge compétent, on gardera à l’esprit que la qualification d’autorité administrative emporte d’autres conséquences qui valent aussi en matière de marchés publics (application des principes de bonne administration, application de la théorie du retrait d’acte administratif, application de l’article 159 de la Constitution …).