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Les professionnels de la santé peuvent-ils faire de la pub ?

Deux professionnels de la santé en blouse blanche tiennent des stéthoscopes, la cloche tournée vers la caméra. Leurs visages sont invisibles, ce qui met en valeur les stéthoscopes. Cette scène pourrait facilement faire partie d'une publicité pour des services de santé, illustrant l'expertise et la confiance dans le toucher de chaque médecin.

Le 6 novembre dernier, le Conseil d’Etat français a confirmé que l’interdiction générale de publicité qui s’imposait jusqu’alors aux médecins et aux dentistes en France portait atteinte à la libre prestation de services au sein de l’Union Européenne et à la Directive sur le commerce électronique.

Dans une série d’articles publiés récemment dans nos actualités, nous avons abordé la question de l’encadrement de la publicité des pharmacies. La décision du Conseil d’Etat français nous donne cette-fois-ci l’occasion de faire le point sur l’état de la réglementation en Belgique pour les autres professions médicales : quelle publicité un professionnel de la santé peut-il mettre en œuvre sans risquer d’être sanctionné ? Le dispositif légal est-il conforme au droit européen ?

Droit de la santé vs. droit de faire de la publicité

La réglementation de la publicité en matière de soins de santé s’apparente à un jeu d’équilibre entre les intérêts économiques des professionnels de la santé et les objectifs de santé publique. Si les premiers peuvent légitimement aspirer à une certaine visibilité sur le marché de la santé, ces objectifs pourraient être mis à mal dans l’hypothèse d’une publicité trompeuse, subjective ou trop envahissante.

Aussi, pour préserver le droit à la santé, il faut parfois pouvoir restreindre la libre des prestations des services. Mais pas à n’importe quel prix : une limitation de la libre prestation des services doit être justifiée par un motif d’intérêt général et être efficace et nécessaire pour atteindre cet objectif. Les restrictions apportées au droit de faire de la publicité des prestataires de soins n’échappent pas à la règle.

Le Conseil d’Etat français a fait application de cette jurisprudence en jugeant illégale l’interdiction pure et simple imposée aux médecins et aux dentistes en France, de toute publicité directe ou indirecte. En effet, une interdiction aussi absolue ne satisfait pas à l’exigence de stricte nécessité issue du droit de l’Union.

L’encadrement de la publicité en Belgique

En Belgique, la faculté pour les prestataires de soins de santé de faire de la publicité est en premier lieu régie par l’article 127, § 2 de la loi relative à l’assurance soins de santé et indemnités, qui interdit toute publicité mentionnant la « gratuité des prestations de santé ou faisant référence à  l’intervention de l’assurance soins de santé dans le coût de ces prestation ».

Derrière cette interdiction ciblée se cache l’idée que l’intervention de l’assurance soins de santé représente un coût pour la société. Elle n’a pas à servir d’argument publicitaire en faveur d’un professionnel de la santé.

Les Codes de déontologie encadrent plus concrètement les pratiques publicitaires des différentes professions médicales. Il n’est pas rare de les voir régir la taille des plaques des prestataires de soins, la mention du nom desdits praticiens dans des publications locales ou en lignes ou encore, l’annonce de l’ouverture d’un cabinet.

Par exemple, le nouveau Code de déontologie médicale de l’Ordre des médecins reconnait et encadre le droit du médecin à faire usage de la publicité et liste une série de pratiques interdites. Du manière générale, il rappelle l’obligation de donner des « informations (…), quelle qu’en soit la forme, (…) conformes à la réalité, objectives, pertinentes, vérifiables, discrètes et claires. Elles ne peuvent pas être trompeuses ni inciter à des prestations médicales superflues ». Sont interdits toute forme de publicité trompeuse ou comparative et la publication de témoignages de patients ou de données couvertes par le secret médical. Le profilage sur internet est également proscrit, ainsi que la promotion commerciale de produits de santé.

Le Code éthique et déontologique des logopèdes contient, en son article 2.2 des restrictions similaires. L’annonce de l’ouverture d’un cabinet y est particulièrement encadrée.

Le Code de conduite du kinésithérapeute exige que la publicité reflète la réalité et que les éléments qui y sont mentionnés puissent être vérifiés. Elle empêche aussi le kinésithérapeute d’« abuser dans sa publicité (…) des fonctions, missions et mandats exercés en dehors de la pratique professionnelle de kinésithérapeute ».

Contrairement à la règlementation française mise en cause dans la décision commentée, ces règles n’interdisent pas la publicité de manière générale et abstraite. En ce sens, elles nous paraissent plus conformes à la réglementation européenne. Encore-faut-il voir de quelle manière elles sont concrètement interprétées et appliquées par les autorités ordinales.

Les avis des Ordres professionnels médicaux

 

On épinglera certains avis récents du Conseil national de l’Ordre des médecins, toutefois rendus au sujet de cas concrets, dans un contexte bien déterminé.

◊ Le Conseil national de l’Ordre des médecins émet de sérieuses réserves concernant une publicité faite pour la réalisation d’une échographie « souvenir » à des fins non médicales, dont l’intérêt commercial ne présente aucun bénéfice compensant le risque encouru par le fœtus.

◊ Au sujet d’une plate-forme internet sur laquelle un internaute peut rechercher un médecin ou un hôpital, recommander un médecin et conseiller un spécialiste pour une pathologie déterminée à son cercle familial ou amical, le Conseil national de l’Ordre des médecins relève notamment que ces données pouvaient être erronées ou trompeuses en l’absence de possibilité, « pour des sources privées, de suivre de près les changements dans l’activité professionnelle d’un médecin ».

◊ Il considère par contre qu’une plate-forme permettant la prise de rendez-vous médicaux en ligne rencontre les intérêts du patient s’il n’est pas porté atteinte à son libre choix et sous réserve du respect du secret médical et des règles de confraternité (absence d’affichage de certains noms de manière préférentielle).

◊ Concernant la collaboration de médecins avec des centres de beauté, de bien-être et de soins, le Conseil national s’oppose à ce qu’ils exercent leur activité « dans des locaux commerciaux ou dans tout autre lieu où sont mis en vente des médicaments, produits ou appareils qu’il prescrit ou qu’il utilise» et rappelle que tout médecin «doit s’opposer à ce que des structures commerciales utilisent son nom ou son activité professionnelle à des fins publicitaires ».

Mieux vaut prévenir que guérir…

Avant de mettre en place une publicité, le médecin ou tout autre professionnel de la santé dont l’activité est réglementée a donc intérêt à se poser certaines questions.

Les informations que je communique sont-elles objectives, pertinentes et vérifiables ? Rencontrent-elles l’intérêt du patient ?

La publicité est-elle conforme à l’intérêt de la collectivité qui finance l’intervention de l’assurance soins de santé ? Risque-t-elle de générer la prise en charge de soins superflus ?

La publicité pourrait-elle être taxée de publicité comparative ?

Le Code de déontologie applicable édicte-il certaines modalités de communication à respecter ?

Au besoin, le praticien est invité à interroger les autorités ordinales et/ou à se faire conseiller par un professionnel du droit.

…mais mieux vaut guérir que mourir !

Si le praticien se voit opposer un refus de mettre en place une publicité ou infliger une sanction en raison d’une publicité mise en œuvre et que ce refus ou cette sanction ne lui semble pas justifié ou bien disproportionné par rapport aux objectifs de protection de la santé avancés, il pourra s’interroger sur la compatibilité de la réglementation ou de la décision litigieuse avec le droit européen. L’interdiction édictée repose-t-elle sur des raisons impérieuse d’intérêt général ? Est-elle réellement nécessaire, efficace et proportionnée au regard de l’objectif de santé publique poursuivi ?

Une chose est certaine, ces questions sont amenées à se manifester avec une acuité particulière dans un contexte d’uberisation et de commercialisation de la société dans tous ses aspects, auquel le secteur de la santé n’échappe pas. En effet, le nombre d’outils destinés à mettre en contact, à promouvoir ou à « noter » les professionnels de la santé auprès de patients potentiels ne cesse de croître et, avec lui, l’impact potentiel de la publicité sur la santé publique.

Vous souhaitez vous faire assister sur ces questions ? Contactez nous !