Infractions urbanistiques : quoi de neuf suite à la réforme du CoDT ?

Une petite cabane en bois est posée sur une plate-forme flottante dans une rivière calme, entourée d'arbres nus. La scène se reflète dans l'eau, créant un reflet tranquille et symétrique. Avec le permis de régularisation de la morue finalisé, ce refuge serein renforce son charme maussade sous le ciel couvert.

Extension du champ d’application de l’amnisitie

Depuis la loi du 29 mars 1962 « organique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme », toute personne qui maintient des actes et travaux réalisés sans permis, en contravention à un permis, etc., se rend coupable d’une infraction indépendante de « maintien ».

Cette situation insécurise un grand nombre de transactions immobilières.

L’infraction de maintien est « continue », dans la mesure elle ne prend fin que par la remise des lieux dans leur état initial ou par l’obtention d’un permis de régularisation. Tant que ce n’est pas le cas, l’infraction subsiste et se transmet en même temps que le bien, chaque nouveau propriétaire en devenant le titulaire.

Depuis 1962, le nombre de biens affectés d’une ou plusieurs infractions d’urbanisme n’a cessé d’augmenter. En outre, le temps qui passe et les nombreuses évolutions législatives rendent difficile la démonstration de l’éventuelle régularité des actes et travaux effectués sans permis à un moment donné.

Une évolution positive dès 2018

Dès la première modification du CoDT en 2018, le législateur wallon a prévu plusieurs tempéraments à l’infraction de maintien.

Ainsi, il précise que les actes et travaux réalisés sans permis, en violation du permis, etc. avant le 21 avril 1962 ne constituent pas des infractions. Il en est de même pour les divisions d’immeubles en plusieurs logements (sans travaux soumis à permis) réalisées avant le 20 août 1994.

ll prévoit aussi une amnistie pour les actes et travaux effectués sans permis avant le 1er mars 1998, à l’exclusion de quatre types d’infractions considérées comme les plus graves.

L’amnistie procure un double avantage :

  1. Non seulement les actes et travaux concernés ne peuvent plus faire l’objet de poursuites pénales ni des lourdes sanctions civiles susceptibles d’être imposées en cas d’infraction.
  2. Mais, en plus, ils sont considérés, de manière irréfragable, comme réguliers sur le plan urbanistique. En d’autres termes, ils font l’objet d’un permis de régularisation tacite.

Le législateur wallon a également créé un double mécanisme de dépénalisation. Selon ce dernier, les infractions non fondamentales étaient dépénalisées après 10 ans et les infractions fondamentales l’étaient après 20 ans. Cette dépénalisation n’était toutefois pas possible pour les actes et travaux relevant des quatre exceptions privées d’amnistie.

À l’inverse, si les actes et travaux « dépénalisés » ne peuvent plus donner lieu à des poursuites, ils restent irréguliers sur le plan administratif. Par conséquent, leur situation reste incertaine sur le plan administratif.

En 2024 – Extension de l’amnistie

Dans le décret du 13 décembre 2023, le législateur wallon tire les conséquences du caractère peu adéquat de la dépénalisation. Il décide en conséquence d’étendre l’amnistie aux actes et travaux « dépénalisés ». Voici ce qu’il faut en retenir :

Cinq catégories d’infractions « majeures » ne sont toujours pas susceptibles d’amnistie. Il s’agit des actes et travaux qui :

  • ne sont pas conformes à la destination de la zone du plan de secteur dans laquelle ils se trouvent ;
  • consistent en la création de plusieurs logements après le 20 août 1994 ;
  • ont été réalisés sur un bien ou dans un site qui fait l’objet d’une mesure de protection particulière ;
  • contreviennent à d’autres réglementations (Code du logement, permis d’environnement, etc.) ;
  • ont fait l’objet d’une décision de justice passée en force de chose jugée.

Les infractions « mineures » ou « ordinaires » sont « pardonnées » passé un certain délai

Hormis ces exceptions, les actes et travaux identifiés comme des infractions non fondamentales ou mineures sont « irréfragablement présumés conformes au droit de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme » après dix ans. Pour les infractions fondamentales ou ordinaire, c’est après vingt ans.

Pour relever de la catégorie des infractions mineures, les actes et travaux en infraction doivent respecter des conditions cumulatives suivantes :

  • Avoir été réalisés dans une zone destinée l’urbanisation ou sur un immeuble dont la situation en dérogation au zonage est régulière ;
  • Être conforme aux normes du guide régional d’urbanisme ;
  • Rencontrée les hypothèses détaillées à l’article D.VII.1, § 2, 3° du CoDT (notamment en termes de proportion d’écart autorisées).

La mise en place de ce système d’amnistie « glissante » permettra de régulariser la situation nombreux biens affectés d’une ou plusieurs infractions de moindre importance. Elle devrait faciliter la vie de bon nombre de propriétaires.

Permis de régularisation

Suspension de l’instruction de la demande de permis en cas de PV

Comme auparavant, une demande de permis de régularisation peut être introduite avant ou après un procès-verbal de constat. Toutefois, en cas de notification d’un procès-verbal après l’introduction de la demande de permis de régularisation, le CoDT prévoit dorénavant une suspension des délais d’instruction de cette demande afin de permettre au Procureur du Roi de notifier son intention de poursuivre ou non le contrevenant.

À défaut de poursuite, l’instruction de la demande de permis par l’autorité compétente reprend.

En cas de refus de permis, le contrevenant fait l’objet de poursuites soit devant le Tribunal correctionnel ou par le Fonctionnaire délégué devant le Tribunal de première instance.

L’octroi du permis est conditionné au paiement de l’amende administrative

En cas d’octroi du permis de régularisation, ses effets sont suspendus jusque la date du paiement de la transaction proposée par le Fonctionnaire délégué, en accord avec la Commune, au contrevenant de payer.

Ce n’est dès lors qu’une fois le montant de la transaction payé que le permis est notifié à son titulaire.  

L’absence de paiement de la transaction dans les six mois de la demande entraine la péremption du permis de régularisation.

Vous avez une question concernant les infractions d’urbanisme en Région wallonne ? N’hésitez pas à contacter Me Alexandre Paternostre

Réfection d’un acte annulé : retour à la case départ ?

Un jeu de société dynamique avec un parcours en spirale qui présente diverses cases illustrées représentant des animaux, des personnes et des objets. Au centre, les règles du Jeu de l'oie sont écrites en français, à côté d'une illustration d'oie proéminente. Cette réfection d'un classique invite les joueurs à s'immerger dans son charme fantaisiste.

La portée de l’ annulation et la réfection

L’arrêt du Conseil d’État revêt une autorité absolue de chose jugée. Lorsque le Conseil d’État annule un acte administratif, celui-ci n’existe plus.

Suite à l’annulation d’une de ses décisions, une autorité administrative ne peut donc pas se contenter de la reprendre telle qu’elle.

Elle doit nécessairement tirer les conséquences de l’arrêt intervenu et, plus précisément, des motifs retenus par le Conseil d’État pour juger l’acte illégal. L’opération par laquelle l’administration remplace un acte administratif annulé par un autre acte purgé du vice qui a justifié son annulation se nomme la réfection.  

  • La réfection de l’acte est parfois impossible car l’administration se trouve dans l’impossibilité matérielle ou juridique de reprendre un acte. Ainsi, en cas d’annulation en raison du dépassement du délai imparti pour prendre la décision, l’administration ne pourra plus jamais statuer.
  • La réfection est dite facultative lorsque l’autorité n’a aucune obligation de statuer. Par exemple, si l’administration procède à une promotion qui n’avait rien d’obligatoire et voit sa décision annulée, elle peut très bien renoncer à son projet initial et ne pas refaire l’acte annulé.
  • La réfection est qualifiée d’obligatoire lorsque l’administration est tenue d’y procéder. Il en va par exemple ainsi lorsque le Conseil d’État annule la décision d’une administration statuant dans le cadre d’un recours organisé.

L’autorité ne doit pas nécessairement reprendre la procédure au début

Dans bien des cas, l’adoption de l’acte annulé découle d’une procédure en plusieurs étapes, impliquant la consultation du public ou de plusieurs instances d’avis.

La question se pose alors de savoir à quel stade l’administration peut reprendre la procédure pour refaire l’acte.

L’arrêt d’annulation du Conseil d’État opère ab initio, c’est-à-dire que, non seulement l’acte n’existe plus, mais il est même censé n’avoir jamais existé : l’effet rétroactif d’un arrêt d’annulation rétablit la situation existante à la veille de l’acte annulé.

Par conséquent, l’administration a le choix. Elle peut reprendre la procédure au stade de l’illégalité relevée par le Conseil d’État et la corriger. Elle peut aussi décider de la reprendre à un stade encore antérieur ou même de la recommencer ab initio (C.E., n°231.854 du 3 juillet 2015).

Si l’administration décide de reprendre la procédure au stade qui précède l’illégalité censurée, elle prend le risque de voir d’autres illégalités affectant le stade antérieur de la procédure soulevées en cas recours contre sa nouvelle décision (par exemple: C.E., n°167.662 du 9 février 2007).

La réfection en cas d’annulation d’un rapport ou avis devenu décision suite à l’absence de réaction de l’autorité compétente 

En matière urbanistique et environnementale, il n’est pas rare que l’avis / le rapport d’une instance à l’origine consultative se transforme en décision lorsque l’autorité compétente ne se prononce pas dans un délai commençant à courir à dater de la réception de l’avis / du rapport.

Ainsi, en Région de Bruxelles-Capitale, l’avis du Collège d’urbanisme vaut décision en l’absence de décision du Gouvernement sur la demande de permis d’urbanisme (art. 188/3, alinéa 3, du CoBAT).

En Région wallonne, le rapport de synthèse des Fonctionnaires technique et délégué vaut décision en l’absence de décision ministérielle sur la demande de permis unique (article 95, §8, du Décret relatif au permis d’environnement).

Dans un tel cas de figure, l’avis/ rapport constitue l’acte administratif pouvant, le cas échéant, faire l’objet d’un recours devant le Conseil d’État.

À l’occasion de son arrêt n°253.313 du 23 mars 2022, le Conseil d’État nous éclaire sur les conséquences qui résultent de l’annulation d’un tel avis / rapport devenu décision.

Les éléments soumis au Conseil d’État

Dans le cadre de recours introduits contre la délivrance d’un permis unique pour la construction et l’exploitation d’une porcherie, les Fonctionnaires technique et délégué compétents sur recours remettent un rapport de synthèse favorable, proposant au Ministre de délivrer le permis sollicité. À défaut de décision du Ministre dans le délai légal, ce rapport de synthèse se transforme, de plein droit, en décision. Les requérants poursuivent et obtiennent l’annulation de ce rapport de synthèse valant décision.

Suite à cette annulation, plutôt que de rédiger un nouveau rapport de synthèse et de le transmettre au Ministre, les Fonctionnaires technique et délégué prennent immédiatement un nouveau rapport de synthèse valant décision, court-circuitant ainsi la compétence décisionnelle du Ministre.

Selon le Conseil d’État :

« Dès lors que l’arrêt précité a fait disparaître le rapport de synthèse sur recours à la date où il a été établi, soit avant la date à laquelle il s’est transformé en décision par l’effet du décret, il appartenait aux fonctionnaires technique et délégué d’instruire le recours en rédigeant un nouveau rapport de synthèse sur recours et de l’envoyer au ministre conformément à la procédure établie par l’article 95, § 3, du décret du 11 mars 1999, et non de prendre une décision à la place de l’autorité de recours».

Ce qu’il faut retenir

Le Conseil d’État juge que nécessaire de reprendre la procédure d’instruction au stade où l’irrégularité retenue, soit en l’espèce au moment où l’avis /du rapport.

Ce faisant, le Conseil d’Etat rappelle implicitement le rôle d’une instance d’avis / de rapport. Si l’avis ou le rapport peut se muer en décision par l’abstention de l’autorité compétente, seule cette dernière dispose d’un pouvoir décisionnel. L’instance d’avis ne peut donc pas s’arroger un pouvoir de décision en reprenant la procédure là on son avis avait déjà valeur de décision et ainsi donner immédiatement à son avis, expurgé du vice retenu par le Conseil d’État, la portée d’une décision. Elle doit soumettre son nouvel avis à l’autorité compétente, qui disposera à nouveau du délai légalement prévu pour se prononcer.

Pour toute question en rapport avec le Conseil d’État ou en matière d’urbanisme, vous pouvez prendre contact avec Fabien Hans ou Alexandre Paternostre.

Le bon timing pour agir en suspension contre un permis d’urbanisme

Plusieurs horloges analogiques blanches affichant des heures différentes sont disposées en diagonale sur un fond jaune vif, rappelant la précision organisée observée dans le permis d'urbanisme. Les horloges varient légèrement en taille et forment des rangées soignées, créant un motif structuré sur l'image.

Nécessité d’agir également en annulation du permis d’urbanisme

Depuis la réforme du Conseil d’État par la loi du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l’organisation du Conseil d’État, il n’est plus possible d’introduire une requête en suspension ordinaire contre un acte administratif (tel un permis d’urbanisme) préalablement à l’introduction d’une requête en annulation.

La requête en suspension sera dès lors :

  • soit introduite en même temps que la requête en annulation si l’urgence le commande
  • soit postérieurement si la condition de l’urgence n’était pas rencontrée au moment du dépôt de la requête en annulation mais qu’elle le devient suite à la survenance d’un évènement nouveau.

L’importance du timing pour agir en suspension du permis d’urbanisme

Choisir le bon timing pour agir en suspension devant le Conseil d’État contre un permis d’urbanisme, voire pour décider d’introduire une suspension d’extrême urgence contre ce dernier, n’est pas chose aisée.

Deux arrêts rendus par le Conseil d’État du 23 février 2022 donnent quelques indications à ce sujet.

Dans l’arrêt n°253.078, le Conseil d’État rappelle que :

Selon l’article 17, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d’État, la suspension de l’exécution d’une décision administrative suppose notamment une urgence incompatible avec le délai de traitement de l’affaire en annulation.

L’urgence ne peut cependant résulter de la seule circonstance qu’une décision au fond interviendra dans un avenir plus ou moins lointain. Une certaine durée est en effet inhérente à la procédure en annulation et à l’exercice concret et complet des droits des parties. Elle ne peut être reconnue que lorsque le requérant établit que la mise en œuvre ou l’exécution de l’acte ou du règlement attaqué présente des inconvénients d’une suffisante gravité, telle que, s’il faut attendre l’issue de la procédure en annulation, il risque de se trouver « dans une situation aux conséquences dommageables irréversibles » (Doc. parl. Sénat, session 2012-2013, n°5-2277/1, p. 13) ».

Dans l’arrêt n°253.079, le Conseil d’État précise que:

Seuls les éléments emportant des conséquences d’une gravité suffisante sur la situation personnelle de la partie requérante sont susceptibles d’être pris en compte.

Il juge également que la condition de l’urgence présente deux aspects :

  • une immédiateté suffisante
  • et une gravité suffisante.

La loi n’exige pas l’irréversibilité de l’atteinte (contra C.E. n°251.210 du 6 juillet 2021), mais permet que la suspension évite de sérieuses difficultés de rétablissement de la situation antérieure.

Selon le Conseil d’État, c’est notamment le cas dans l’hypothèse où un permis serait annulé après la construction de l’immeuble ou d’une partie de celui-ci (arrêt n°253.078).

Déterminer le moment pour agir en suspension contre un permis d’urbanisme

Lorsqu’un riverain entend empêcher la mise en œuvre d’un permis d’urbanisme et souhaite dès lors obtenir la suspension de ses effets par le Conseil d’État, il lui est conseillé d’écrire au bénéficiaire du permis afin de lui demander s’il entend ou non mettre son permis en œuvre à brève échéance.

Le Conseil d’Etat estime en effet qu’« il appartient au requérant de vérifier de manière proactive si et quand le permis d’urbanisme dont il demande l’annulation risque d’être mis en œuvre », étant entendu que sous réserve des cas de suspension expressément prévus par la loi, « un tel permis est exécutoire dès sa délivrance » (arrêt n°235.160 du 3 mars 2022).

Dans les deux affaires soumises au Conseil d’État, le conseil du bénéficiaire du permis a adressé un courrier au requérant ou à son conseil.

Si les travaux ne sont pas prévus à brève échéance

Dans la première affaire (n°253.078), le conseil du bénéficiaire du permis d’urbanisme a fait savoir qu’aucune décision n’a été prise quant à la prise de cours du chantier et qu’il est possible qu’il débute avant l’aboutissement d’une procédure en annulation mais que ce ne sera pas avant plus d’un an et demi, voire davantage.

Dans ce contexte, le Conseil d’État juge qu’« étant donné que le début des travaux n’aura pas lieu avant de nombreux mois, il n’est pas établi à suffisance que le traitement de l’affaire en annulation ne puisse suffire à éviter les atteintes aux intérêts mis en avant par les requérants ».

En l’absence d’immédiateté suffisante des inconvénients dénoncés par la partie requérante, le Conseil d’État juge que la condition de l’urgence en référé n’est pas établie.

Si les travaux sont prévus à plus brève échéance

Dans le deuxième cas (n°253.079), le conseil du bénéficiaire du permis d’urbanisme a précisé dans un courrier du 30 août 2021 que ce dernier entendait commencer les travaux « « dans un délai de trois à quatre mois », à savoir aux environs des mois de décembre 2021 ou janvier 2022 ».

Face à une telle échéance (quatre à six mois), le Conseil d’État juge qu’il « est plausible qu’un éventuel arrêt d’annulation ne pourra intervenir dans un délai utile pour prévenir les inconvénients allégués, qualifiés de graves ».

Il admet dès lors l’urgence.

En résumé, lorsque la mise en œuvre d’un chantier est annoncée a échéance plus ou moins rapprochée (six mois ou moins dans l’exemple cité), il est opportun d’agir en suspension.

Si elle n’est pas annoncée ou qu’elle l’est mais à plus long terme (plus d’un an et demi dans l’exemple cité), l’urgence risque de ne pas être retenue. Il est alors conseillé d’agir dans un premier temps en annulation et, dans un deuxième temps, d’introduire une requête en suspension ou en suspension d’extrême urgence lorsque le requérant aura acquis la certitude que le permis sera mis en œuvre prochainement (avis d’affichage, arrivée d’engins de chantier, début de travaux, …).

En cas d’extrême urgence, la diligence s’impose mais ne suffit pas !

S’il entend agir par le biais de la procédure de suspension d’extrême urgence à l’encontre du permis litigieux, le requérant doit également réunir deux conditions :

  • l’imminence de l’atteinte aux intérêts du requérant qui serait causée par l’exécution immédiate du permis et qui ne pourrait dès lors pas attendre la fin de la procédure en suspension ordinaire
  • et la diligence du requérant à prévenir cette atteinte et donc à saisir le Conseil d’État (C.E. n°251.210 du 6 juillet 2021).

Agir sans attendre

Par conséquent, dès qu’il a connaissance d’un élément ne laissant pas de doute quant à l’imminence du début des travaux, le requérant doit agir sans attendre, le Conseil d’État estimant par exemple que cette condition n’est pas remplie lorsque la requête en extrême urgence est introduite plus de deux semaines près l’affichage du début imminent des travaux (C.E. n°251.210 du 6 juillet 2021).

Avoir fait preuve de proactivité pour s’informer

Lorsque la requête en suspension d’extrême urgence suit une requête en annulation, le requérant doit par ailleurs avoir fait preuve de la proactivité nécessaire « pour s’assurer de se prémunir, en temps utile, des dommages qu’elle craint de subir du fait de l’exécution de l’acte attaqué » (arrêt n°253.445  du 1er avril 2022).

Dans l’hypothèse où un recours en annulation a déjà été introduit contre un permis, le Conseil d’État estime que pour répondre à une telle condition, il ne suffit pas d’introduire une requête en suspension d’extrême urgence dans les dix jours de la communication, par la bénéficiaire du permis, de son intention de commencer les travaux quinze jours plus tard.

Dans une telle hypothèse, le requérant doit également être en mesure de démontrer qu’on a entrepris des démarches antérieurement pour connaître les intentions du bénéficiaire du permis quant à sa mise en œuvre du permis.

Le Conseil d’État estime qu’une telle condition n’est pas remplie si la partie requérante a pris contact avec le bénéficiaire du permis concomitamment à l’introduction de sa requête en annulation (19 juillet 2021) mais est « ensuite restée inactive durant plus de sept mois et a attendu d’être informée d’une mise en œuvre imminente par la partie adverse pour introduire la demande de suspension de l’exécution de l’acte attaqué, selon la procédure d’extrême urgence » (arrêt n°253.445  du 1er avril 2022)..

En d’autres termes, agir en suspension ou en suspension d’extrême urgence contre un permis d’urbanisme exige de la partie requérante qu’elle s’informe régulièrement de l’évolution du calendrier du bénéficiaire du permis.

En l’absence de réponse ou quand la réponse ne donne pas l’assurance d’une mise en œuvre à plus ou moyen terme permettant, le cas échéant, l’introduction d’une demande en suspension, le requérant doit réitérer à intervalles réguliers ses démarches vis-à-vis du bénéficiaire du permis afin de se garantir d’agir utilement en extrême urgence si ce dernier se décide soudain d’exécuter son permis à brève échéance.

Les pièges de procédures sont donc nombreux ! Pour toute question relative aux recours en matière de permis d’urbanisme, vous pouvez prendre contact avec Alexandre Patenostre ou Fabien Hans.

La portée des avis et l’impartialité des organes consultatifs

Une personne en chemise bleue rédige méticuleusement une lettre à la table à l'aide d'un élégant stylo Avis noir et or. L'attention est portée sur sa main et le stylo, tandis que l'arrière-plan se brouille doucement pour devenir obscur.

De « simples avis »

Dans son arrêt n°251.336 du 3 août 2021, le Conseil d’Etat rappelle la portée des avis rendus par les organes qui peuvent ou doivent être consultés au cours d’une procédure administrative comme par exemple lors de l’instruction d’un permis d’urbanisme.

Ainsi, sauf les cas où l’avis sollicité est dit « conforme » (c’est-à-dire un avis qui doit obligatoirement être suivi), l’autorité administrative qui prend la décision n’a pas l’obligation de se conformer aux avis recueillis au cours de la procédure administrative.

Si elle décide de s’en écarter, elle doit préciser, dans sa décision, « les motifs circonstanciés de nature à justifier raisonnablement son appréciation en opportunité et expliquant pourquoi elle s’écarte de ces avis ». A défaut, il pourrait lui être reproché de se rendre coupable d’une erreur manifeste d’appréciation, c’est-à-dire une erreur à ce point flagrante qu’une autre autorité administrative, placée dans la même situation, ne l’aurait pas commise (C.E., 11 mars 2021, n°250.089) ou qu’elle est incompréhensible pour tout observateur averti (C.E., 22 juin 2021, n°251.022).

Les avis sont donc là pour éclairer les autorités administratives et non pour la lier. Toutefois, si elle s’en écarte, elle doit alors expressément expliquer pourquoi.

L’impartialité ou l’apparence d’impartialité d’un organe d’avis

Les avis rendus par les instances consultées en cours de procédure administrative sont susceptibles d’influencer la décision qui sera finalement adoptée par l’autorité administrative.

Il est donc important qu’ils soient rendus par un organe dont l’impartialité ne fait pas de doute.

En effet, « le principe général d’impartialité doit être appliqué à tout organe de l’administration active et ce, même s’il ne s’agit que d’un organe consultatif chargé d’éclairer l’autorité compétente par un simple avis ou une proposition de décision » (C.E., 3 août 2021, n°251.336).

Remettre en cause l’impartialité d’un organe d’avis ?

Pour le Conseil d’Etat, « il suffit qu’une apparence de partialité ait pu susciter chez le citoyen concerné un doute légitime quant à l’aptitude à aborder sa cause en toute impartialité » (C.E., 3 août 2021, n°251.336).

Si cette affirmation est très large, le Conseil d’Etat la nuance aussitôt en précisant que «ce principe ne s’applique que dans la mesure où il se concilie avec la nature spécifique, et notamment avec la structure de l’administration active ».

Ainsi, l’impartialité d’un organe collégial sera nécessairement plus difficile à remettre en cause que celle d’un organe unipersonnel dont le représentant serait en conflit d’intérêt.

Selon le Conseil d’Etat, on ne peut mettre en cause l’impartialité d’une instance collégiale que si l’on rencontre deux conditions cumulatives :

« D’une part, des faits précis qui font planer des soupçons de partialité sur un ou plusieurs membres de ce collège peuvent être légalement constatés et que, d’autre part, il ressort des circonstances que la partialité de ce ou de ces membres a pu influencer l’ensemble du collège » (C.E., 3 août 2021, n°251.336).

Apparence d’impartialité: un exemple concret

Dans l’affaire qui a donné lieu à son arrêt n°251.336 du 3 août 2021, les parties requérantes dénonçaient le manque d’impartialité de la Commission consultative d’aménagement du territoire et de mobilité  (ci-dessous « CCATM ») en raison de la situation de conflit d’intérêt d’un de ses membres. En effet, elles relevaient que ce dernier avait été associé à l’élaboration du projet à l’instruction, en sa qualité d’architecte paysager.

Le Conseil d’Etat relève que les éléments du dossier ne permettent pas de démontrer que l’intéressé se serait abstenu lors du vote de la CCATM et, encore moins, qu’il aurait quitté la séance lors de ce vote.

Au contraire, il est établi que cette personne s’est intéressée au projet et a participé aux débats de la Commission sans que le procès-verbal de séance ne permette de déterminer son degré de participation aux discussions ayant précédé le vote.

Le Conseil d’Etat juge dès lors que « sa présence en qualité de membre de la commission consultative, alors qu’il est également intéressé au projet est de nature à faire planer un doute sur l’impartialité qui est attendue de la CCATM ».

Dans la mesure où le permis attaqué se fonde explicitement sur l’avis favorable conditionnel de la CCATM , le Conseil d’Etat estime que le moyen est fondé et annule le permis litigieux..

Pour toute question relative aux procédures d’instruction des permis ou, de manière plus générale, relative aux procédures administratives, vous pouvez prendre contact avec Alexandre PATERNOSTRE ou Fabien HANS

Le PAD: le nouvel outil-clé de l’aménagement du territoire bruxellois

Une scène nocturne d'un monument bien éclairé avec des arbres verts luxuriants et un grand espace à proximité. Des lampadaires lumineux bordent la route, où une longue exposition crée des traînées de lumière blanche et rouge provenant des véhicules qui passent, ajoutant une énergie dynamique au cadre tranquille.

Le PAD, un nouvel instrument au centre de la politique d’aménagement du territoire en Région de Bruxelles-Capitale

Le Plan d’Aménagement Directeur (PAD), nouvel instrument au centre de la dernière réforme du Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire (CoBAT) fait beaucoup parler de lui ces derniers mois.

On peut le comprendre étant donné l’emballement des autorités régionales autour de ce nouvel instrument de planification.  A l’heure actuelle, ce sont pas moins de 13 PAD qui sont en cours d’élaboration sur le territoire bruxellois !

Bye-bye les schémas directeurs, bonjour les PAD !

Le PAD est voué à remplacer l’ancien outil des schémas directeurs.  Ces schémas avaient pour vocation de déterminer, dans des zones jugées prioritaires par la Région, les principales options à développer et les moyens requis pour les mettre en œuvre pour y parvenir.  Ces schémas ne se substituaient pas aux autres plans d’aménagement existants mais s’y ajoutaient afin de déterminer les lignes directrices de l’aménagement du territoire sur des zones trop étendues pour être régies par un PPAS.

Le processus de mise en œuvre des options prioritaires ainsi identifiées était cependant très laborieux.  Il fallait, dans un premier temps, identifier les zones d’enjeu prioritaire, appelées zones leviers, dans le cadre de l’adoption ou de modification du Plan Régional de Développement.  Ce n’est qu’ensuite que le schéma directeur pouvait être adopté pour identifier les options à développer au sein de ces zones.  Enfin, la mise en œuvre de ces options nécessitait encore l’adoption de PPAS par les Communes.

Alors que l’objectif était de permettre d’adapter rapidement des quartiers présentant une importance stratégique pour la Région, le processus d’adoption était à ce point complexe, qu’il en devenait inefficace.

C’est pour répondre à cette faiblesse que la réforme du CoBAT a créé les Plans d’Aménagement Directeur (PAD), à valeur indicative mais pouvant contenir un volet réglementaire.  L’objet de ces PAD consiste donc à fixer les grands principes d’aménagement ou de réaménagement du territoire qu’il vise, sans qu’il ne soit nécessaire de passer par l’adoption des schémas directeurs et des PPAS.

Le nouveau maître du jeu de l’aménagement du territoire bruxellois

 

Les PAD ont, en principe, valeur indicative, ce qui signifie que l’autorité peut s’écarter des options qui y sont définies moyennant motivation.

Toutefois – originalité principale de l’instrument – le Gouvernement peut décider de conférer une valeur obligatoire et réglementaire à des dispositions littérales ou graphiques du PAD.

Lorsque cette force obligatoire est donnée aux dispositions indiquant l’implantation d’une voie de communication, le PAD vaut dispense de permis de lotir pour l’opération de division du terrain réalisée conformément à ces dispositions.

En outre, les dispositions réglementaires du PAD priment sur toutes les dispositions réglementaires d’autres plans et règlements d’urbanisme qui leur sont contraires, dont notamment le PRAS et le RRU !  Dans la zone géographique qu’il couvre, c’est donc le PAD qui règne en maître pour déterminer les prescriptions urbanistiques applicables, pour autant que ses prescriptions se soient vues attribuer une valeur réglementaire.

Pour ce qui est des dispositions à valeur indicative, elles ne peuvent pas s’écarter du PRAS ou du RRU.

Enfin, tout comme pour le PRAS, il n’est pas possible de déroger aux dispositions réglementaires d’un PAD.  La violation des dispositions réglementaires des PAD est érigée en infraction, comme c’est le cas de la violation des PPAS et permis de lotir ainsi que, depuis peu, du PRAS.

Quel processus d’élaboration ?

Sans aborder en détail le processus d’élaboration du PAD, on relèvera une originalité dans le processus de participation du public qui se déroule en deux étapes.

Tout commence par une instruction du Ministre-Président de rédiger un projet de PAD.  Dès ce moment, le processus d’information et de participation commence avant même que la rédaction du PAD ait commencé.  Ce n’est donc qu’après une première phase de consultation du public que la rédaction pourra commencer.

Ensuite, une fois le projet de PAD rédigé et avalisé en première lecture par le Gouvernement, celui-ci est soumis à enquête publique classique.

Par ailleurs, s’agissant d’un plan aménagement du territoire, les PAD sont soumis à la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation stratégique environnementale et doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale lors de leur élaboration et avant leur adoption. Nous vous renvoyons à nos récents articles à ce sujet.

Où en est-on dans le processus d’élaboration des PAD ?

Il y a peu, dix premiers PAD ont été initiés simultanément avec des réunions de participation préalable du public qui se sont déroulées presque toutes en même temps, du 4 au 11 juin dernier.

Plus récemment, trois PAD supplémentaires ont été initiés pour les quartiers Heysel, Défense et Maximilen-Vergote. Les réunions de participation préalables du public pour ces trois projets de PAD ont eu lieu le 17 septembre dernier.

Un processus participatif amélioré… vraiment ?

Les PAD des quartiers Hermann-Debroux, Loi, Heyvaert et Josaphat ont été approuvés en première lecture par le Gouvernement et font l’objet d’enquêtes publiques en cours. Celles-ci se clôtureront toutes au début du mois de décembre.  L’enquête publique relative au PAD du quartier Midi devrait débuter en vrier 2020.

Quant au PAD du quartier Loi, il est déjà remis en cause par un avis défavorable de la Commission Royale des Monuments et Sites qui, outre les remarques sur le contenu du PAD, pointe une volonté masquée des autorités de consolider des permis octroyés sur la base d’un RRUZ annulé pour cause d’absence de rapport d’incidences, ce qui, selon la CRMS, « pose une vraie question quant au processus de consultation ».

Le PAD Josaphat est, lui aussi, sur la sellette suite à un avis négatif de la Commune de Schaerbeek.  Ici encore, c’est notamment la méthodologie autour de l’élaboration du PAD qui est critiquée. Alors que, comme exposé ci-avant, on envisage un processus de participation du public le plus en amont possible, avant même la rédaction du PAD, la Commune estime que « les jeux sont faits ».  Elle constate ainsi que l’étude paysagère n’est arrivée qu’après le début des discussions sur le PAD et, surtout, elle constate que le marché public pour la conception des infrastructures majeures du site est déjà en cours d’élaboration et que le délai de fermeture des offres vient à échéance avant même l’enquête publique sur le PAD.

Au vu du nombre de PAD en élaboration, les associations de protection de l’urbanisme et du territoire urbain ainsi que les riverains soucieux de préserver le bon aménagement de leur territoire ont du pain sur la planche pour appréhender les impacts de ces nouveaux plans et formuler leurs observations en temps utile. Il en va de même des instances consultées simultanément sur un grand nombre de projets de PAD à propos desquels elles ne disposent que d’un délai de 30 jours pour émettre leurs avis.  Cela remet sérieusement en cause l’effectivité de ces processus de consultation du public et des organes d’avis.

 

Photo  : jamessensor sur Visualhunt.com / CC BY-NC

Evaluation des incidences sur l’environnement des plans et programmes – Evolutions jurisprudentielles (partie 2)

Une rangée de grandes éoliennes blanches se dresse sur un paysage aride sous un ciel bleu clair, chacune d'elles étant soigneusement placée après une évaluation des incidences. Elles sont alignées dans une formation légèrement incurvée, avec des collines ondulantes et des montagnes lointaines ornant l'arrière-plan.

Cet article constitue le second volet du diptyque consacré à l’obligation d’évaluation environnementale des plans et programmes publics.  Le premier volet se penche sur la définition de plans et programmes telle que progressivement élaborée par la jurisprudence de la CJUE.

Le Conseil d’Etat annule un PRU et un RRUZ en raison de l’absence d’évaluation environnementale « plans –programmes »

À la suite des arrêts rendus par la Cour de Justice quant à l’interprétation à réserver à la notion de plans et programmes au sens de la directive 2001/42/CE,  le Conseil d’État est amené à se prononcer sur les conséquences qui résultent de l’absence d’évaluation des incidences sur l’environnement préalablement à l’adoption de deux types de plans d’aménagement, à savoir le PRU en Région wallonne et le RRUZ en Région de Bruxelles-Capitale.

Le PRU du centre d’Orp-le-Petit à Orp-Jauche

A l’occasion d’un arrêt n°245.021 du 27 juin 2019, le Conseil d’État est amené à tirer les conséquences de l’arrêt de la Cour de justice à propos du PRU adopté pour le centre d’Orp-le-Petit à Orp-Jauche. Il y pose plusieurs constats importants.

Tout d’abord, le Conseil d’État relève que, à partir du moment où le PRU est adopté par le Gouvernement wallon et non pas par une autorité locale, il ne peut être fait application de l’exonération dont peuvent bénéficier les petites zones au niveau local, en application de l’article 3, § 3 de la directive 2001/42/CE. Dès lors qu’une telle exonération n’est pas possible, une évaluation des incidences sur l’environnement du PRU reste en toute hypothèse requise.

Evaluation des incidences et… évaluation des incidences

Le Conseil d’État juge également, en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice sur le sujet, que le fait que le projet porté par le PRU querellé ait fait l’objet d’une évaluation environnementale au sens de la directive 2011/92/UE sur l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (Directive « projets ») ne dispensait pas l’autorité de l’obligation de procéder à une évaluation au sens de la directive « plans et programmes » avant l’adoption du PRU.

Cependant, conformément à ce qu’a jugé la Cour de Justice dans un arrêt C-295/10 du 22 septembre 2011, le Conseil d’Etat estime qu’il y a lieu de vérifier si l’évaluation des incidences qui avait été réalisée pour se conformer à la Directive « projets » ne permettrait pas de satisfaire en même temps aux exigences de la Directive 2001/42 relative aux plans et programmes.

Le Conseil d’Etat répond à cette question par la négative dans le cas d’espèce.  Il estime en effet qu’à défaut d’avoir consulté les instances régionales spécialisées en matière d’environnement avant la mise en œuvre de l’évaluation des incidences environnementales (en l’occurrence, un avis urgent du Conseil wallon de l’environnement pour le développement durable n’avait été sollicité qu’in extremis, après l’étude d’incidences) mais aussi d’avoir recueilli l’avis de ces instances sur le contenu de l’évaluation, les exigences de la directive « plans et programmes » n’avaient pas été respectées.

En conséquence, le Conseil d’Etat annule le PRU en question.

Le RRUZ de la rue de la Loi

Dans son arrêt n°245.528 du 25 septembre 2019, le Conseil d’État réserve un sort similaire au RRUZ adopté par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale pour le périmètre de la rue de la Loi et ses abords, après avoir constaté qu’il s’agissait, là aussi, d’un plan ou programme qui aurait dû faire l’objet d’une évaluation des incidences adéquate préalablement à son adoption.

On relèvera, à cette occasion, que la Région de Bruxelles-Capitale demandait le maintien des effets du règlement annulé pour le passé mais que le Conseil d’Etat a rejeté cette demande en considérant que l’existence de circonstances exceptionnelles n’était pas établie en l’espèce.

Le Conseil d’Etat prend acte de l’interprétation donnée par la Cour de Justice de la notion de « plans et programmes » au sens de la Directive pour considérer que le PRU et le RRUZ constituent des « plans-programmes » soumis aux exigences de la Directive 2001/42.

L’absence d’une évaluation des incidences environnementales d’un plan ou programme n’aboutira pas forcément au constat d’illégalité de ce plan-programme s’il s’avère qu’il a été procédé, avant l’adoption de l’instrument planologique ou programmatique, à une évaluation des incidences qui répondrait à la fois aux exigences de la Directive 2011/92 « projets » et à celles de la Directive 2001/42 « plans et programmes ».

Pour plus de renseignements sur les évaluations des incidences sur l’environnement des projets ou des plans-programmes, n’hésitez pas à nous contacter.

Evaluation des incidences sur l’environnement des plans et programmes – Evolutions jurisprudentielles (partie 1)

Une rangée de grandes éoliennes blanches se dresse sur un paysage aride sous un ciel bleu clair, chacune d'elles étant soigneusement placée après une évaluation des incidences. Elles sont alignées dans une formation légèrement incurvée, avec des collines ondulantes et des montagnes lointaines ornant l'arrière-plan.

Cet article constitue le premier volet d’un diptyque consacré à l’obligation d’évaluation environnementale des plans et programmes publics.  Le second volet se penche sur les conséquences de la jurisprudence de la CJUE au travers de deux arrêts récemment rendus par le Conseil d’Etat au sujet de réglementations wallonne (PRU) et bruxelloise (RRUZ) en matière d’aménagement du territoire.

La notion de plans et programmes

Les plans et programmes publics couverts par la directive 2001/42/CE relative à l’évaluation stratégique environnementale doivent faire l’objet d’une évaluation environnementale lors de leur élaboration et avant leur adoption. La notion de « plans-programmes » au sens de cette Directive est interprétée de manière large par la Cour de justice de l’Union européenne, soucieuse de garantir l’effet utile de l’obligation instituée par le législateur européen.

Dans son arrêt Inter-Environnement Bruxelles, n°567/10 du 22 mars 2012, la Cour de Justice de l’Union européenne a ainsi précisé qu’une telle obligation s’imposait également à la modification ou à l’abrogation d’un plan ou programme.

Dans un arrêt d’Oultremont n° C-290/15 du 27 octobre 2016, la Cour de Justice a réitéré la nécessité d’une interprétation large à conférer à la notion de « plans-programmes » dans le cadre de la directive 2001/42/CE.  Cet arrêt répète des principes déjà énoncés dans la jurisprudence antérieure mais affine la notion de plans-programmes en précisant qu’elle « se rapporte à tout acte qui établit, en définissant des règles et des procédures de contrôle applicables au secteur concerné, un ensemble significatif de critères et de modalités pour l’autorisation et la mise en œuvre d’un ou de plusieurs projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement ».

« Un ensemble significatif de critères et de modalités » pour la mise en œuvre de projets

Reste à déterminer ce qu’il y a lieu d’entendre par « ensemble significatif de critères et de modalités« …

En s’appuyant sur l’arrêt de principe d’Oultremont précité, la Cour de justice a également jugé que le Règlement d’urbanisme zoné (RRUZ) institué par le Code Bruxellois de l’Aménagement du Territoire relevait de la notion de « plans et programmes » au sens de la directive (arrêt C‑671/16 du 7 juin 2018, Inter-environnement Bruxelles e.a.).  Cet arrêt précise que « la notion « d’ensemble significatif de critères et de modalités’’ doit être entendue de manière qualitative et non pas quantitative. En effet, il y a lieu d’éviter de possibles stratégies de contournement des obligations énoncées par la directive ESIE pouvant se matérialiser par une fragmentation des mesures, réduisant ainsi l’effet utile de cette directive ».

Par un arrêt Thybaut du même jour, la Cour de Justice a également eu l’occasion de se pencher sur le mécanisme wallon de Périmètre de Remembrement Urbain (PRU) et a considéré qu’il peut également être assimilé à un plan-programme au sens de la Directive.  Or, l’objet de ce PRU ne contient pas, en tant que tel, des prescriptions positives mais consiste essentiellement à faciliter l’écart aux prescriptions urbanistiques d’application au sein de ce périmètre.  La Cour de Justice a néanmoins considéré que, même si le PRU « ne contient pas lui-même des prescriptions positives », il établit un « ensemble significatif de critères et de modalités » dans la mesure où la délimitation du PRU emporte l’acceptation de principe du projet d’urbanisme voué à être implanté en son sein.

L’interprétation de la Cour de Justice sur la notion de plans-programmes peut paraître excessivement large mais elle contient, en réalité, des critères de plus en plus précis pour dresser les contours de cette notion.  Cette interprétation large vise à garantir la réalisation efficace des objectifs de la Directive 2001/42.

Encore plus qu’auparavant, les autorités régionales devront se demander, avant l’élaboration de tout plan ou règlement relatif à l’aménagement du territoire et à l’environnement, s’il n’y a pas lieu de le précéder d’une évaluation « plans-programmes ». A défaut et comme on le verra dans la seconde partie de cette analyse, la légalité de cette réglementation pourrait être mise en cause.

Pour plus de renseignements sur les évaluations des incidences sur l’environnement des projets ou des plans-programmes, n’hésitez pas à nous contacter.

Permis d’urbanisme et droits civils de tiers

Plan architectural détaillé de l'agencement d'un bâtiment, marqué de notes manuscrites en rose et en vert pour mettre en valeur le plan et se conformer au permis d'urbanisme. Des lignes de dessin et des étiquettes indiquent les couloirs, les pièces et les entrées.

Puis-je obtenir un permis d’urbanisme pour un bien pour lequel je ne suis pas (encore) titulaire de droits réels ?

Il est classiquement enseigné que les permis d’urbanisme sont délivrés « tous droits civils saufs » : en d’autres termes, l’autorité délivrante n’a pas à se préoccuper des droits civils des tiers (propriété actuelle du bien, servitude, mitoyenneté, etc.) lorsqu’elle délivre un permis.

Ce raisonnement s’explique par le fait que le permis d’urbanisme n’est pas délivré au regard de celui qui le demande mais uniquement au regard du bien sur lequel les actes et travaux seront mis en œuvre .  Ainsi, il arrive fréquemment qu’un propriétaire d’un terrain sollicite un permis d’urbanisme uniquement dans le but de vendre par la suite le terrain et le projet qui a été autorisé par un permis, ce qui augmente la valeur du bien mis en vente.

Une contestation portant sur des droits civils relève de la compétence exclusive des tribunaux de l’ordre judiciaire en vertu de l’article 144 de la Constitution. Classiquement, le Conseil d’État ne s’estimait donc pas compétent pour en connaître lorsqu’il apprécie la légalité d’un permis d’urbanisme.

Prise en compte des droits civils pour apprécier « le bon aménagement des lieux »

Cette position du Conseil d’Etat a cependant connu une évolution. Le Conseil d’Etat juge qu’une contestation de droit civil peut, dans certains cas, constituer un élément à prendre en compte par l’autorité amener à délivrer ou refuser un permis d’urbanisme.

Cela peut ainsi être le cas lorsqu’une problématique de droit civil  est connue de l’administration au moment où elle statue et que son enjeu pourrait compromettre la  mise en œuvre d’un projet conforme au bon aménagement des lieux. A l’inverse, la conformité d’un projet au droit civil ne rend pas automatiquement le projet conforme au bon aménagement des lieux.

Le « bon aménagement des lieux » relève du pouvoir d’appréciation discrétionnaire de l’administration. Une telle appréciation d’opportunité échappe donc au contrôle des juges. Toutefois, si le requérant le demande, le Conseil d’État doit néanmoins vérifier que l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’autorité n’est pas entaché d’une erreur manifeste d’appréciation. Il pourrait en aller ainsi lorsqu’une autorité a ignoré un litige de droit civil porté à sa connaissance et qui serait de nature à mettre en péril le respect du bon aménagement des lieux ou la capacité du demandeur à mettre en oeuvre le permis sollicité.

Pour approfondir ce sujet, voyez la publication de Me Fabien HANS, Commentaire de l’article D.IV.26, du CoDT in L. VANSNICK, B. GORS (éd), Commentaire article par article du Code de développement territorial (CoDT), Bruxelles, Politeia, 2017-2018.