Suspension d’une taxe discriminatoire

Une personne en costume avec un sac étiqueté TAX sur la tête est assise à un bureau, pointant vers l'avant. L'arrière-plan est d'une couleur verte unie.

Le 16 janvier 2024, le Conseil d’État a rendu un arrêt au sujet d’une taxe locale sur les embarcations mises à l’eau dans la rivière de la Lesse.

Cet arrêt, qui suspend la taxe litigieuse, nous donne l’opportunité de revenir sur l’application du principe de non-discrimination en matière de taxes, mais aussi sur la nécessité de tenir compte de la capacité contributive du redevable.

Contexte et rappel des principes

La taxe censurée par le Conseil d’État s’appliquait à tous les exploitants de kayaks, et ce pour l’ensemble des embarcations qu’ils pouvaient exploiter.

La partie requérante, une société connue pour la location de kayaks le long de la Lesse, soutenait que cette taxe était contraire au principe d’égalité et de non-discrimination.

Ce principe interdit, sauf justification raisonnable, de traiter de manière différentes des situations identiques ou similaires. Il interdit aussi de traiter de manière identique des situations objectivement différentes, à moins que cette identité de traitement repose sur une justification raisonnable.

Dans cette affaire, la taxe s’appliquait à toutes les exploitations autorisées, même à celles qui n’étaient pas mises à l’eau. La critique soulignait que l’administration traitait de manière identique l’exploitant qui loue toutes les embarcations autorisées et celui qui n’en loue qu’une partie, tout en imposant la même charge fiscale dans les deux situations.

Un règlement qui n’atteint pas l’objectif environnemental et qui ne tient pas compte des facultés contributives de l’exploitant

Le Conseil d’État a admis cette critique, jugeant que ce traitement identique ne reposait pas sur une justification raisonnable.

Deux raisons l’ont mené à cette conclusion : 

  • Le mode de taxation n’est pas en adéquation avec l’objectif environnemental poursuivi par le Conseil communal. Ce dernier justifiait notamment l’adoption de la taxe par la volonté de réduire le nombre de déchets générés par cette activité. Or, le Conseil d’État relève qu’en taxant de manière identique l’ensemble des embarcations autorisées, indépendamment de leur exploitation effective, cette taxe incite les exploitants à utiliser toutes les embarcations en leur possession puisqu’elles seront de toute manière taxées de la même manière. Ce n’est donc pas en adéquation avec l’objectif poursuivi, voire contreproductif.

  • Le Conseil d’État relève également que la taxe ne tient pas du tout compte des facultés contributives des exploitants puisqu’elle ne tient pas compte de la rentabilité effective de l’embarcation. De la sorte, celui qui est dans l’impossibilité de louer tout ou partie de ses embarcations devra contribuer de la même manière que celui qui peut bénéficier de l’ensemble de ses revenus. Bien que le Conseil d’Etat ne suspende pas le règlement-taxe sur cette seule base, il nous paraît important d’insister sur cet aspect. Du reste, cette nécessité de tenir compte de la capacité contributive du redevable est une expression du principe d’égalité et de non-discrimination puisqu’elle vise à éviter de taxer de la même manière des personnes qui se trouvent dans des situations différentes.

Pour toute question à propos de la contestation d’un règlement-taxe, vous pouvez contacter Thomas Cambier et Antoine Herinckx.

Contestation des taxes communales

Une boîte lumineuse avec le mot TAXES est entourée de différentes valeurs de billets de dollars américains, de 5 à 50 dollars, dispersées comme une contestation visuelle de la prise de décision financière dans différents lieux.

La Cour de cassation précise l’obligation de motivation en matière fiscale

La justification d’une différence de traitement engendrée par un règlement-taxe peut ressortir de la nature de la taxe elle-même quand cela relève de l’évidence.

Une différence de traitement en matière fiscale doit être justifiée

Les principes d’égalité et de non-discrimination impliquent que tous ceux qui se trouvent dans la même situation soient traités de la même manière. Une disposition fiscale peut toutefois opérer une différence de traitement entre deux catégories de contribuables, à la condition que cette distinction soit susceptible d’une justification objective et raisonnable en rapport avec le but poursuivi.

Mais où et à quel moment cette justification doit-elle apparaitre ?

Dans un arrêt du 29 février 2024, la Cour de cassation clarifie l’obligation de motivation en matière fiscale.

Elle juge que la justification objective et raisonnable de la différence de traitement peut ressortir du règlement-taxe lui-même et du dossier administratif ayant mené à son adoption. Mais elle peut aussi être déduite de la nature et du contexte de la différence de traitement elle-même.

L’arrêt du 29 février 2024 s’inscrit dans le courant de jurisprudence initié par la chambre néerlandophone de la Cour de cassation avec un arrêt du 3 septembre 2015. Ce dernier marquait une évolution importante : il autorise le juge à ne pas se limiter au seul préambule du règlement-taxe et à son dossier administratif pour trouver l’existence d’une justification, mais à la déduire de la nature même de la différence de traitement exercée ou du contexte du règlement-taxe.

La Commune ou la Province n’a donc pas toujours l’obligation de justifier dans le préambule de la taxe ou dans les documents préparatoires les raisons pour laquelle elle décide de taxer un type d’activités plutôt qu’un autre.

Toutefois, dans son arrêt du 29 février 2024, la Cour de cassation pose une balise importante.

Une balise importante : la force de l’évidence

L’autorité peut s’exonérer de motiver une différence de traitement induite par une taxe si et seulement si sa justification déduite de la nature même de la différence de traitement ou livrée par le contexte du règlement-taxe relève de l’évidence. En d’autres termes, cette justification doit être si évidente qu’aucune autre interprétation plausible n’est possible, démontrant ainsi que l’administration a approuvé la différence de traitement en se basant sur ce seul motif.

Mais quelle évidence ?

L’affaire portée devant la Cour de cassation concerne un règlement-taxe sur les mâts et pylônes situés en plein air et visibles depuis la voie publique. Ce règlement exonère les éoliennes ou d’autres formes d’énergie verte.

Devant la Cour d’appel, l’administration justifie cette exonération par la volonté de favoriser la production d’énergie verte dans le cadre de la transition énergétique nécessaire à la lutte contre le réchauffement climatique.

Cependant, cette justification ne ressort ni du règlement-taxe ni du dossier administratif.

Néanmoins, le juge d’appel constate que la justification avancée découle de la nature même de la différence de traitement et est étayée par le contexte du règlement-taxe. Il juge que cette justification est la seule ayant pu conduire l’administration à approuver une telle différence de traitement. Il estime dès lors que la différence de traitement fait l’objet d’une justification objective et raisonnable et que le règlement est conforme aux principes d’égalité et de non-discrimination.

Par son arrêt du 29 février 2024, la Cour de cassation valide le raisonnement tenu par le juge d’appel.

Pour toute question en matière de fiscalité locale, vous pouvez prendre contact avec Alexandre Paternostre.